CARTE DE L'ITINERAIRE :

 

 

Lundi 7 septembre 2015

 

Ce n’est pas que j’étais très enchanté de partir à nouveau… Trois mois sans ma petite famille me donnaient plutôt envie de rester auprès d’elles que de partir découvrir le Haut-Altaï. Mais ce si gentil Igor, avec son insistance si polie, a su me décider. Lena me l’a curieusement conseillé aussi, au nom d’une motivation qui m’échappe un peu mais dans lequel je soupçonne un altruisme bien à elle…

Les difficultés d’Igor à parler français ont laissé ce voyage dans un certain brouillard. Je savais qu’on allait faire une randonnée vers Usk Koksa , qui se trouve au sud-ouest de la République d’Altaï ; qu’on s’arrêterait en route chez des amis à Igor et qu’on irait dormir dans un village traditionnel. Enfin, la randonnée devait nous permettre d'apercevoir le mont Bekouka qui est presque aussi haut que le Mont Blanc (à 400m près). Il était aussi question qu'on dorme dans la tente... Bref, pas beaucoup de détails...

Le voyage a donc réellement commencé sur la route M52 qui passe tout près d’Akademgorodok. Igor et Ioura, le conducteur, venant de Novossibirsk, m’attendaient là. On a chargé mon sac à dos et nous sommes partis droit vers le sud. J’ai retrouvé la route de Barnaoul, celle de Biisk, que je connais bien, puis la Tchouisky Trakt qui mène de Biisk à la Chine en traversant la République d’Altaï. Quelques haltes en route dont une que j’ai demandée, à Tsarkii Okhota, la chasse du Tsar, où j’avais séjourné quelques jours avec Andreï et Valery il y a trois ans. Le village de vacances s’est d’ailleurs étendu d’un grand bâtiment et de quelques dépendances. Le tourisme dans cette région de l’Altaï prospère. On est en effet à quelques kilomètres de la région de Tchemal qui a la réputation d’être la plus chaude de la région. Très bien pour les vacances d’été.

Il était déjà 16 heures quand nous avons repris la route et nous n’étions pas encore arrivés ! Les limitations de vitesse étant surveillées par un certain nombre de voitures de police et de radars, Ioura tenait une moyenne de 80km/h. A sept heures, la nuit a commencé à tomber et nous arrivions enfin sur la piste qui devait nous mener au village traditionnel où nous devions dormir.

C’est alors que nous nous sommes trompés de route. De piste plutôt. Ioura s’est arrêté avant une sorte de barrage à animaux en nous disant qu’il ne pouvait pas passer ici avec sa voiture et de toute façon que nous aurions dû déjà arriver au village. Quelques coups de fils, un échange avec une voiture qui passait là par hasard et nous retournons. Il fait cette fois complètement nuit. La petite Toyota tremble, Ioura a allumé le chauffage à fond pour éviter à sa voiture de chauffer. Du coup j’ai ouvert la fenêtre et c’est un mélange de courant d’air chaud et gelé qui me fait craindre pour la suite. Manquerait plus qu’une grippe dans ces circonstances. Nous avons quand même trois jours de randonnée devant nous, avec nuits sous la tente et tout le folklore sibérien. Autant dire qu’une grippe là-dessus et c’est la cata. Nous arrivons au village de Bootchy que nous avions traversé sans remarquer que c’était lui que nous cherchions. Une voiture nous attend. Un homme de type asiatique en sort et nous dit que nous devons le suivre. Nous faisons un petit tour dans le village et il nous ouvre une barrière. La voiture rentre, se gare, mais on m’explique que je dois prendre mes affaires, que nous partons dans le 4x4 du proprio. Transfert exécuté dans le noir, nous repartons les quatre sur un chemin herbeux en direction de la montagne.

Je vais alors réaliser le tour en voiture le plus sport de ma vie. Non pas à cause de la vitesse mais du mouvement. Le 4x4 se balance de tous les côtés, s’enfonce à droite, se redresse, se penche à gauche. Il faut se tenir à la poignée supérieure pour rester sur son siège. Le chemin est un nid d’ornières et le gros véhicule tangue comme un manège. Nous sommes maintenant dans une forêt, nous traversons deux ruisseaux et puis nous prenons un chemin secondaire à droite, comme si on pouvait imaginer un chemin secondaire à celui-là. Bref, encore quelques minutes et nous débouchons dans une immense clairière au bord de laquelle sont plantés de petits chalets en bois flambant neuf. Le véhicule s’arrête devant le plus petit d’entre eux (il y en a un plus petit encore mais c’est les toilettes).

Dehors il fait assez froid et on a l’impression en entrant dans le chalet qu’il y fait plus chaud qu’à l’extérieur. A l’intérieur un joli poêle mais malheureusement éteint, quatre lits par paires superposées, une table, un réchaud électrique. Oui, il y a l’électricité ! Le loueur repart et nous laisse seul à flanc de montagne. Igor sort ses vivres et découvre qu’il a oublié la plus grande partie dans le sac qu’il a laissé dans notre voiture. Après un inventaire on découvre qu’il a un pain, deux paquets de pain suédois (riz soufflé), un raisin, quatre tomates. On a de quoi chauffer de l’eau mais le thé est resté dans la voiture. Tant pis on se contentera de pain et d’eau chaude, le tout accompagné d’une tomate et de quelques grains de raisin. Et puis, il est à peine dix heures quand mes deux compagnons se mettent au lit. Ils éteignent bientôt la lumière. Par hasard je trouve dans mon petit ordinateur de voyage le film « l’Ecume des Jours ». Je commence à regarder ce confit de bonheur alimenté par une kyrielle d’inventions bricolées, fine fleur de la french touch, et je suis soudain stupéfait de regarder ce film dans ces conditions. Dehors le ciel est plein d’étoiles, pas un bruit sinon celui, lointain, d’un ruisseau. Et dedans, sur ce petit écran, ce fourmillement de gens souriant parmi des accessoires en pagaille et en mouvement… Un étrange paradoxe. Je décide de m’arrêter au milieu du film. Je réveille la galerie pour ouvrir cette porte dont le bois a gonflé et résiste à l’ouverture... Et je me retrouve dehors, sous ces milliards d’étoiles bordées par le cercle des arbres qui nous entoure. Je pense à l’arrivée d’un ours, je ne suis pas très rassuré tandis que je me précipite à mes nécessités corporelles. La nuit sera froide. Au matin, l’herbe sera couverte de givre. Ça promet… Dans deux jours on remet ça mais dans une tente… Maso un peu les russes. Et moi avec eux pour le coup…

 

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Mardi 8 septembre 2015

 

Deuxième jour. Avant de reprendre la route, je prends conscience d'un élément architectural intéressant dans le village. En effet, si l'on retrouve la traditionnelle maison russe, avec son étage unique, ses quelques fenêtres, son avancée à l'entrée et ses murs en rondin, on trouve très souvent, à côté, ce que l'on appelle ici l'Aïl. L'aïl peut avoir plusieurs formes. Tantôt il ressemble à une tente indienne, en bois naturellement, le plus souvent il peut faire penser à une yourte. Mais en bois. Il n'y a comme yourtes en Russie que des fantaisies pour touristes. Peut-être y en a-t-il à Touva ? Mais en tout cas pas en République d'Altaï. En revanche l'aïl est très répandu. A quoi sert-il donc ? C'est ce que j'ai demandé à notre hôte, puisqu'il en avait un à côté de sa maison. Il m'a expliqué que l'aïl était utilisé l'été pour les repas. On y cuisine et on y mange. L'hiver il y fait trop froid précise-t-il. Malgré la présence d'un poêle au centre, comme dans une yourte.

 

 

Nous avons repris la route. Après une bonne heure, nous bifurquons en direction de Oust Kan. La route n’est pas excellente mais reste dans la normalité routière. Jusqu’à ce que soudain le goudron cesse pour laisser la place à un agrégat de terre et de cailloux. Ioura qui nous a remis le chauffage à fond depuis le départ (jamais je n’aurais dû lui expliquer qu’il pouvait utiliser le radiateur du chauffage pour aider au refroidissement du moteur), voit arriver ce revêtement routier avec effroi. Il roule maintenant à 20 à l’heure.  Sans l’air de la vitesse, la chaleur qui sort de la soufflerie du chauffage est encore plus difficile à supporter. Lorsque j’ouvre ma fenêtre il la ferme avec la commande électrique et ouvre la fenêtre d’Igor à la place de la mienne. Ce qui m’étonne c’est qu’il ne quittera pas de la journée (et cela pendant cinq jours) sa veste en jean qui recouvre une chemisette. Même habits en toutes circonstances (de chaud comme de froid) et sans toilette (il n’y aura de douche dans aucun des lieux où nous sommes allés). En revanche, avec son rasoir électrique, il se rase chaque jour. Une hygiène toute en façade. La route va donc être longue. Mais soudain le voilà qui s’arrête. Au milieu de la route. Sans essayer de se garer sur le bas-côté. Et il annonce qu’il a faim et qu’il faut manger tout de suite. Je pense à un petit encas, mais non, je vois Igor qui installe un système pour cuire de l’eau. D’abord ils se concoctent un chocolat chaud et ensuite ils se lancent dans la préparation de ce qu’ils appellent du cacha de riz. Du riz à l’eau pour résumer. Alors que les autorités locales ont eu la délicatesse de construire régulièrement des tables abritées sous de petit kiosques, on s’est arrêté sur une route où il n’y a pas un endroit pour s’asseoir et le tout en plein soleil. Igor est d’une remarquable souplesse. Il consent sans discuter aux caprices de son ami.

Je m’aperçois alors que, outre la psycho-rigidité de son caractère, ce que tente Ioura de démontrer, c’est le droit que lui donne la possession d’une automobile. Je n’ai pas beaucoup connu cette tendance en France, je suis un peu trop jeune pour cela (les occasions de me trouver trop jeune deviennent rares !), mais il est certain qu’elle a existé. Si aujourd’hui elle existe encore dans l’esprit de Ioura c’est qu’elle ne remonte pas ici  à mathusalem, comme c’est le cas en France, mais que ce « pouvoir » conféré par la possession d’une automobile est encore vivace en Russie. Il ne s’agit pas seulement d’être fier d’avoir une voiture, il s’agit de se comporter dans sa voiture en maître absolu. Par exemple, ouvrir une fenêtre n’est pas à la libre disposition des voyageurs. Cela demande l’accord du conducteur. Je l’ai déjà remarqué avec Léna à l’occasion de voyages en taxi. Elle m’avait fait remarquer que je devais demander pour ouvrir la fenêtre. Chose qui m’était apparue aberrante. Mais le retrouver ici, dans le contexte d’un voyage qui aurait pu tourner en sortie entre amis, c’est carrément  atterrant.

Nous restons donc trois quarts d’heure, la voiture au milieu de la route et nous debout à côté, en attendant que le riz cuise et qu’il soit ensuite avalé. En France, pour un tel pique nique, n'importe qui aurait cherché un endroit un peu isolé, à l'ombre, avec, si possible une table et des bans, ou bien quelque souche pour s'asseoir. Non, il semble que notre conducteur n'ait pas à l'esprit la nécessité de ces rudiments de confort.

Enfin nous repartons. Au bout d'une trentaine de kilomètres le goudron est à nouveau sous nos roues et notre moyenne va rapidement remonter. Autour de nous une sorte de steppe entre les montagnes où paissent en toute liberté des vaches et des chevaux. Au milieu de la route un veau tête sa mère. Il faut passer à côté sans déranger le couple. Parfois on voit un bouvier près d'un troupeau. A cheval le plus souvent. Une vie à chevaucher près d'un troupeau… Que peuvent donc penser ces hommes toute la journée…

 

Vers 14 heures nous arrivons à Oust Kan. Sur la petite place au centre, beaucoup d'animation. On attend des bus, on fume assis dans le petit square, on palabre près des voitures. La majorité des hommes et des femmes sont des Altaïens d'origine, quelques russes quand même de ci de là. Nous allons déjeuner dans une petite cantine, pour moins de deux euros : bortsch,  un beignet à la viande et un thé. Au fond de la salle une reproduction très kitch indique que nous sommes bien en terre d'Asie…

 

Le voyage durera encore une bonne partie de l'après-midi. C'est une alternance de tronçons goudronnés et de piste. Parfois le bout de piste ne dure qu'un seul kilomètre, parfois c'est vingt. Difficile de comprendre la logique qui a permis ces alternances… On ne peut évidemment s'empêcher de songer que l'argent nécessaire à joindre les deux bouts a disparu dans quelque détournement…

Enfin nous arrivons à notre objectif, Oust Koksa. Nous mettons un certain temps à trouver la maison de l'ami à Igor. Je n'ai pas encore bien compris où on va dormir. Igor aurait voulu que nous partions en randonnée ce soir mais nous sommes arrivés un peu trop tard. Nous nous arrêtons aussi dans un supermarché où je fais des achats de vivre pour les trois jours que doit durer notre virée dans la montagne. Deux pains, un fromage, une sorte de jambon fumé et des pommes… Je n'ai pas envie de reproduire le dîner au pain, aux tomates et à l'eau chaude… Igor a aussi acheté un gâteau et du fromage pour ses amis.

Alexei, sa femme Irina et leurs deux garçons nous attendaient. Irina est en train de préparer un repas. Je ne comprends pas exactement si c'est pour nous ou pas, Igor a un peu de mal à expliquer les choses alors je laisse venir. Finalement on se met tous à table et commence un repas assez chaleureux. Irina est une femme de caractère pleine d'entrain et accueillante. Le repas se passe bien et je me hasarde à demander s'ils ont une guitare. Malgré que personne n'en joue dans la maison, ils en ont une ! Ils me la sortent, elle est même accordée et plutôt pas trop mal, malgré son made in china. Je vais vite me rendre compte qu'on adore la musique dans la maison. Mes quelques chansons font tourner la soirée en une vraie fête. Il n'y a guère que Ioura notre chauffeur qui reste indifférent. Il fait partie de ces hommes qui n'aiment pas grand-chose, - mis à part sa voiture il me semble…

 

Finalement Alexeï nous conduit dans un gîte qui se trouve à une vingtaine de kilomètres de là. Un jeune homme nous attend, il nous présente les lieux. Tout est assez sympa, en bois et récemment rénové. Mais il n'y a pas de douche. On s'en passera...

 

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Mercredi 9 septembre 2015

Ce matin, réveil à 6 heures. Après le petit déjeuner nous repartons pour Oust Koska. Je comprends alors que la voiture va rester dans le garage d'Alexeï et qu'il va nous conduire dans sa voiture à Toungourt, point de départ de la randonnée. Il y a 60 km de piste à faire, que la Toyota d'Alexeï va parcourir à grande vitesse et dans un surprenant confort, comparé à la petite voiture de Ioura.

On traverse un impressionnant pont suspendu qui tangue au passage de la voiture et, après une piste boueuse, sous l'insistance d'Irina qui redoute que la voiture s'embourbe, Alexeï s'arrête. C'est fini pour lui, c'est le départ pour nous. Après quelques minutes de préparation, et un changement de pneu car la Toyota a crevé, Alexeï et Irina repartent d'où ils viennent et nous commençons à mettre un pied devant l'autre.

 

Nous suivons ce chemin boueux jusqu'à un pont. Là se trouve la rivière Koutcherla, dont, finalement, nous allons suivre le cours, et qui déjà nous enchante par sa couleur turquoise. Le chemin continue dans une forêt, toujours aussi abîmé par toutes sortes de véhicules qui y ont creusé des abîmes. Igor, plein d'allégresse, emporte son immense sac à dos à grande allure. Ioura le suit. Il a, lui, deux petits sacs à dos, l'un à l'arrière, l'autre à l'avant. Je suis un peu à distance, n'aimant pas ces départs sur les chapeaux de roue. En tout cas on se suit, on s'attend, ça va. Sortis de la forêt, on prend un chemin plus facilement praticable qui traverse des prairies regorgeant de criquets. On croise des paysans qui chargent des rouleaux de foin, et plus loin des troupeaux de chevaux. Il fait bon, si bon qu'il commencerait presque à faire chaud. Je remballe mon anorak et le déshabillage va se poursuivre jusqu'au tee-shirt. Et puis nous allons atteindre le point où les voitures s'arrêtent. Une piste pour piétons remplace donc les deux lignes fendues d'ornières de la voie carrossable. C'est d'ailleurs en ce point que d'autres touristes se font conduire, ceux qui passent par les agences de voyage, et notamment ce groupe que nous n'allons cesser de croiser, et qui vient de se faire débarquer avec son guide.

Peu à peu le sentier s'élève. Tantôt nous marchons en bordure de rivière, tantôt, lorsque celle-ci s'engouffre dans un cañon, le chemin s'élève et longe la crête de la montagne. C'est encore de là qu'on a les plus belles vues de la rivière, en contrebas, avec son bleu turquoise et l'écume des vagues au milieu du vert sombre des arbres. Au loin commence à s'apercevoir le premier sommet de neiges éternelles. Le mont Beloukha ne doit pas être loin derrière ce sommet. Normalement la randonnée s'en approche, mais il faudrait davantage de jours disponibles. Six jours. Nous n'en avons que trois prévus…

Le groupe nous rattrape au moment où je fais une photo, activité qui ralentit les randonneurs. Tant mieux ! Sinon cela servirait à quoi toutes ces merveilles aperçues ? On oublie si vite… Igor se précipite alors pour doubler le groupe. Pourquoi ? Parce qu'il veut arriver en premier au gîte où il a prévu que nous dormions. Si le groupe nous passe devant on dormira dehors dit-il.

Il faut quand même prendre le temps de se restaurer un peu… Nous nous arrêtons pour déjeuner au bord d'un ruisseau. Je prends la décision de boire cette eau, c'est ça ou la déshydratation… Elle devrait être potable. Il n'y a plus de troupeaux par ici...

On doit faire demi tour à un moment car le sentier monte trop dans la montagne et nous devrions approcher du rocher des pétroglyphes qui se trouve en bordure de rivière. En effet, nous avions raté le chemin qui part à droite.

Cette fois on marche dans un sous-bois au bord de la rivière. Si proche que l'eau gorge la terre sous nos pas et on est obligé de dévier notre chemin. Les chevaux dans ces moments, parce qu'ils mettent tous leurs sabots au même endroit, creusent des sortes de vagues, c'est très curieux. Mais assez difficile pour marcher. On est donc obligé de chercher des chemins qui contournent ces endroits difficiles, gorgés d'eau.

Au bout d'une demie heure le rocher qu'on cherchait se découvre. "C'est bien celui-là ?" demandai-je à Igor. « Oui ! » Répond-il sans hésiter. C'est vrai qu'il est venu ici il y a une quinzaine d'années. Il rêvait d'y retourner. C'est fait.

Sur le rocher on aperçoit en effet des silhouettes de cervidés et de bouquetins dessinés en martelant la roche. Des hommes ont vécu ici il y a plusieurs milliers d'années. Pourtant le rocher ne semble pas offrir d'ouverture, pas de grotte donc, mais la proximité de la rivière et le gibier tout autour étaient certainement gages de survivance.

Ce détour a permis au groupe de nous rattraper. Igor s'élance donc droit devant, sorte de géant infatigable avec sa stature déjà imposante et son sac qui le grandit au moins de vingt centimètres. On le suit comme on peut. Ioura traîne la patte. C'est lui maintenant qui a pris la dernière place et il faut l'attendre souvent. On dirait que la randonnée n'est pas sa tasse de thé…

Alors que nous sommes partis à 10h30, nous arrivons au gîte vers 17 heures. Nous sommes bien les premiers randonneurs mais un altaïen, qu'on a déjà croisé avec sa caravane de chevaux, est déjà là. Igor échange quelques mots avec lui pour apprendre que le gîte a été réservé pour le groupe. « Vous verrez avec eux, précise l'homme, peut-être vous pourrez vous arranger... » On allume le feu, on se prépare un thé.

Une demi-heure plus tard environ le groupe arrive. Tout le monde se rue dans la maison, s'installe. Nous allons bientôt commencer à se faire à manger. Le froid commence à tomber. On prépare un cacha de riz et j'ai l'idée d'y ajouter du lait concentré que j'avais pensé à acheter. C'est très bon. Plus tard on voit le guide du groupe et un autre homme qui suspend une marmite sur le feu pour y faire une énorme soupe. Les randonneurs sont mis à contribution pour éplucher des légumes. A l'intérieur ils ont aussi allumé le pietchka (le poêle) qui mettra un certain temps à laisser sortir la chaleur de son immense masse de briques. Le résultat c'est qu'il fera chaud dans la maison jusqu'au lendemain matin.

Nous avons fini de manger et nous sommes installés devant le feu pour nous réchauffer. Je conseille à Igor de demander au groupe s'ils veulent bien partager la maison. On dormira par terre, ce sera toujours mieux que se geler dans la tente. Mais Igor n'ose pas. Après quelques ricanements qui indiquent leur conviction que jamais on nous laissera transgresser ce droit privé du groupe, Ioura se décide à aller demander. Il revient quelques minutes plus tard en annonçant qu'ils sont d'accord. Igor traduit « On pourra se coucher à côté du poêle » et ne peut s'empêcher d'ajouter : « A la place du chien ». C'est en tout cas ainsi qu'on imagine cette place dans leur esprit. De mon côté je me fous de la comparaison et suis bien content de dormir au chaud cette première nuit.

Plus tard le guide qui parle un peu anglais, et avec qui j'ai partagé quelques mots quand il préparait à manger, vient nous proposer de partager la soupe avec eux. Ça fait du bien un peu de légumes chauds. Plus tard on me proposera de partager du thé. Igor et Ioura restent ensemble, pas décidés à entrer en contact avec les personnes du groupe. Il y a cela dans l'esprit russe, - mais pas chez tout le monde. J'arrive à discuter avec quelques uns, des randonneurs (ils viennent de Moscou et St Petersbourg) et aussi le monsieur des chevaux qui s'appelle Marad. En russe la conversation s'il vous plaît ! Il m'apprend qu'il est Yazytchniki. Est-ce une tribut particulière ? Léna me dit que cela veut dire seulement païen... Il m'apprend aussi que son fils est un kaï (chanteur de gorge), qu'il chante des mélopées altaïennes depuis qu'il a 8 ans. Il vit maintenant à Gorno Altaïsk.

A dix heures on éteint les lampes de poches. Tout le monde essaie de dormir. Tout le monde n'y arrive pas… Ou pas vraiment… Par la fenêtre, souvent, j'aurai l'occasion de regarder le ciel. Il y a tellement d'étoiles, elles sont si nettes... Le vacarme de la rivière s'engouffre dans la maison par l'autre fenêtre qui est fermée avec des bâches plastiques transparentes. Il fait presque trop chaud maintenant….

Le lendemain matin l'herbe sera couverte de givre….

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  Carte détaillée de la randonnée

Jeudi 10 septembre 2015

Tout le monde se lève peu à peu. Il fait encore bon dans la maison, dehors il gèle encore. Le guide et son bras droit commencent à s'activer aux casseroles pour préparer le déjeuner. De notre côté nous plions nos bagades et je sors mes réserves pour commencer à manger. C'est alors que le guide du groupe me propose de partager le cacha qu'il a préparé, mélange d'avoine, de graines et de fruits secs qu'il a concocté. Un régal. Ils me proposent de goûter aussi une infusion d'herbe d'Altaï, chose que je ne peux refuser étant donné la réputation de ces herbes, et le goût excellent de ces mélanges que j'ai goûtés de nombreuses fois. De leur côté mes deux comparses sont sortis de la maison. Visiblement Ioura est mal luné, il n'a pas dû lui non plus passer une très bonne nuit, malgré qu'il ait tiré au sort hier soir le dernier lit disponible. Seuls Igor et moi avons dormi par terre.

Dehors la Koutcherla coule toujours et une nuée s'élève de ses flots agités. Le soleil se lève déjà, il est un peu plus de huit heures. J'aperçois dehors Igor et Ioura en grande discussion. Ioura mène les arguments, Igor a un air soucieux. Puis Ioura vient vers moi, près du feu, et commence à essayer de me dire quelque chose dont je comprends qu'il y est question de voiture et de fatigue. Et même de petites roues… Un peu plus tard Igor nous rejoint et j'apprends alors que Ioura ne veut plus continuer la randonnée, qu'il veut rentrer car il affirme qu'il nous faudra deux jours pour rentrer… Bing. Cela fera quatre jours de voiture pour deux jours de marche. On m'aurait dit ça dès le début, je ne serais pas venu. Un peu en colère je me mets à aborder un sujet qui me préoccupait depuis déjà un moment. Ioura a demandé que je lui paie 6000 roubles pour le voyage. C'est un peu excessif alors j'ai noté le prix qu'il payait à chaque pompe à essence, pour me rendre compte que l'aller retour lui coûterait environ 4000 roubles. Bien sûr on pourrait voir ça à la française et se dire que c'est aberrant, que 4000 divisés par 3 ne font que  1333. Mais bon, en tant que Français en Russie, dans la mentalité primitive de ce Ioura, il est bien évident qu'il faut « profiter » du touriste étranger, et il m'a semblé comprendre qu'il n'y a que ça qui a pu motiver sa décision de nous accompagner. J'ai bien vu par son attitude que la randonnée, il s'en fiche comme en 40 (ben oui, la Russie n'est rentrée en guerre qu'en 1941!) et que la seule chose qui semble l'intéresser dans la vie c'est l'argent et ce qu'il permet (en passant par tous les clichés qui séduisent les arrivistes, quelque soit leur fortune). Donc négocier en dessous du prix réel risquerait de conduire à un échec de la négociation. C'est pour cela que fort de sa démission, j'en profite pour négocier une remise de 2000 roubles (environ 35 euros). Il accepte. De mon côté j'accepte donc la sentence.

Je précise aussi que, comme je n'avais pas l'argent pour partir et que je voulais annuler le voyage, c'est Igor qui m'a proposé de me prêter l'argent. Ce qui a été déterminant pour me convaincre de venir. En fait, ce voyage était un rêve d'Igor, un rêve de quinze ans. Et il n'a réussi à décider Ioura de nous accompagner que parce que celui-ci pourrait voyager sans avancer un sou (Igor a acheté toutes les vivres et Ioura n'a payé que trois repas au restaurant pour tout le séjour). Voilà comment l'habile Igor s'y est pris pour réaliser son rêve. On ne peut pas lui en vouloir, et on peut imaginer combien cette décision de rentrer l'a déçu.

L'objectif d'Igor c'était d'aller au moins jusqu'au lac Koutcherlinsky qui se trouve en amont de la rivière (voir la carte). Son rêve aurait été de faire le circuit de six jours, celui-là même pour lequel partait le groupe : on remontait la rivière jusqu'au lac, et, de là, à travers la montagne, on rejoignait le lit de la rivière Akioutch que l'on peut voir sur la carte à la droite de la  Koutcherla. Avec ces deux jours, on réduisait considérablement l'objectif, même si le pic Kouragane que nous avions devant nous valait le coup d’œil… De mon côté je trouvais absurde d'avoir fait toute cette route pour un aller-retour de cette trempe. On serait allé à Sintelek, une fois et demie moins loin, on aurait pu faire une super randonnée de 4 jours avec Sergueï pour guide (voir les Carnets de Sibérie). Mais bon...

Je découvre que Ioura et Igor n'ont pas encore déjeuné. Je leur propose donc de les laisser une heure pour manger et préparer et en profiter pour aller voir ce qu'il y a sur le sentier un peu plus loin. Le groupe s'apprête à partir, je pars devant eux. Je les croiserai au retour.

Partant en direction sud-est, face au soleil, le sentier s'enfonce dans la forêt. La lumière du matin filtre à travers les feuillages, la rivière est laissée dans la vallée, à droite. A un moment une percée dans le feuillage permet de l'apercevoir en contrebas. J'en profite pour faire une photo panoramique.

Une demie heure de marche c'est vite fait. A un repère pour bivouac je décide de faire une petite pose photo avant de repartir en arrière. C'est à ce moment que je vois le groupe arriver, avec toujours le guide en première position, et, cette fois, les deux filles du groupe qui le suivent. Nous nous adressons un dernier au-revoir et ils continuent droit devant tandis que je reviens sur mes pas.

Lorsque j'arrive au gîte Igor et Ioura sont prêt à partir. Marad est arrivé avec ses chevaux qui attendent que leur maître les charge des vivres et de la cantine des randonneurs. Entre parenthèse cette randonnée est organisée par Altaï Tour, - s'il y a des amateurs...

Nous repartons. Ioura est en tête et marche à vitesse grand « v ». Il me fait penser à ces chevaux des randonnées équestres : quand on s'éloigne de l'écurie, ils traînent la patte. Quand on repart en sens inverse, les voilà qui marchent d'un bon pas. Nous avons beaucoup de temps devant nous, le retour sera évidemment plus rapide que l'aller. On va faire que descendre… Mais je ne sais pourquoi Ioura a décidé que cette fois c'est lui qui prenait la tête et nous impose un rythme soutenu.

Pour ce qui est du paysage, seule différence avec hier, la lumière. Cela permet des photographies à peine différentes.

Comme nous avons le temps, j'ai décidé que je prendrais le temps au retour de faire une petite toilette. Il fallait trouver un endroit où entrer facilement dans la rivière et pouvoir s'y laver tranquillement, hors courant. C'est au moment où la rivière borde la forêt et le chemin que nous trouvons un endroit particulièrement adapté. Elle est froide, - mais c'est quand même bon de prendre un bain après quatre jours de voiture surchauffée et de marche sous le soleil !

Un peu plus loin, la proximité du chemin et du bord de l'eau me donne l'occasion de faire peut-être la plus jolie photo de ce séjour. "Combien de sanglots pour un air de guitare" écrivait Aragon... Mais j'entends bien que cette citation, ici, est quelque peu exagérée !

 Un repas pris près d'une source me laisse le temps de quelques impressions photographiques. Nous buvons l'eau du ruisseau et nous reposons une petite heure dans cet endroit très agréable mêlant l'eau, l'ombre et même quelques troncs d'arbres en guise de banc.

Nous avons donné rendez-vous à Alexeï à 17 heures. Nous arrivons au point de rendez-vous pile à l'heure. Nous l'attendons quelques minutes et la Toyota surgit. Nous repartons avec un soleil de fin d'après-midi dans les yeux. Une belle ambiance sur la piste qui tient lieu de route.

Le soir, Alexeï et Larissa ont préparé une vraie fête. Il y a à manger et il y a des invités dont celui qui présente le meilleur look est un peintre de Kazan en vacances. Sa peinture est assez proche, au niveau de la technique et du style, de Nicholas Roerich. Mais hélas, je n'ai pas noté son nom. Quelqu'un le reconnaîtra-t-il ?

Plus tard il sera rejoint  par deux autres, l'un chanteur et le second, je l'apprendrai plus tard, créateur d'une bibliothèque. Larissa est en pleine forme, elle parle et rit beaucoup, les enfants sont contents qu'on soit là et surtout le petit qui vient régulièrement essayer de me dire des mots en anglais que doit lui souffler son frère. On mange plein de bonnes choses, et on est vivement incité à goûter ces sortes de cidres de fruits que prépare Larissa. Il y en a aux pommes, aux prunes jaunes, à une baie inconnue, au cassis même. C'est peu alcoolisé, ça n'a pas l'amertume du vrai cidre, ou alors du cidre doux si on veut faire une comparaison, et donc ça se boit tout seul. Dommage qu'on est un peu épuisé de la randonnée et de la mauvaise nuit passée. Mais quand même, on passe une soirée vraiment très sympa et Alexander, le chanteur est plutôt bon. J'aimerai particulièrement cette chanson qui me trotte encore dans la tête :

 

 

 

Vers onze heures (la soirée a commencé à peine à 19 heures) Igor m'explique qu'on ne va pas retourner au gîte d'avant-hier, mais qu'on va dormir chez des amis. Ioura dormira chez Alexeï et Larissa. Après un petit temps d'au-revoir, de fumage d'une dernière cigarette, de l'apprêt du nécessaire de couchage, je pars avec Igor dans le noir, un peu plus loin sur la piste qui tient lieu de rue.

Et c'est alors qu'on entre dans un épisode typiquement russe. Avant d'avoir fait cent mètres, nous entrons dans une cour. Je rappelle que nous ne sommes pas au centre, mais pas très loin, sur le flanc d'une colline. Dans la cour, un chien aboie plus par principe que par méchanceté. Nous longeons un dôme en plexiglas, un lieu à moitié terrain vague où sont entreposés bois et matériel métallique. Et puis, toujours dans le noir, nous montons un escalier de métal aux marches en bois. Un genre d'escalier de service ou une issue de secours. Une porte métallique s'ouvre et nous voilà dans la réserve d'une bibliothèque ! C'est entre deux rayons que nous allons dormir. Matelas et couettes nous attendent. Il fait chaud et beaucoup de lumière éclaire l'espace assez grand.

Nous posons nos affaires et redescendons. On repasse devant le chien et entrons dans la bibliothèque par l'autre aile, sur la gauche. Là nous retrouvons l'homme dont je réalise qu'il était le troisième invité de chez Alexeï. Il s'agit de Léonid Kalochine, le directeur et créateur de la bibliothèque. Il nous propose son évier pour faire notre toilette. En fait la bibliothèque est aussi son lieu de vie. J'en saurai un peu plus le lendemain. A cette heure, je comprends que tout le monde est fatigué et qu'il est temps d'aller dormir.

 

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Vendredi 11 septembre 2015.

Au matin nous retrouvons  Léonid Kalochine dans son bureau. Pour ce il nous a fallu redescendre l'escalier de secours et contourner la serre accolée au bâtiment. J'en profite pour en ouvrir la porte. Elle est aussi grande qu'un jardin d'hiver d'un palais de Bohème. On y voit des alignements de tomates et de différents autres légumes et même des fleurs. Très haute elle s'élève en effet jusqu'au toit de la réserve de la bibliothèque, au premier étage. Sa cloison transparente a une forme bombée qui va du sol au milieu de l'étage supérieur.

Le chien nous aboie encore, mais plutôt pour nous saluer cette fois. Nous entrons par l'aile droite et sommes accueillis par Léonid nous propose d'aller faire un peu de toilette dans la cuisine, au fond du couloir. Nous retrouvons ensuite son bureau qui va bientôt se changer en salle à manger puisque c'est là qu'il nous invite à déjeuner. Sur une table face à son bureau il y a du thé d'Altaï, avec notamment cet « Ivan tchaï », le thé d'Ivan, qui a été le premier thé consommé en Russie, bien avant que le thé d'Inde n'envahisse le marché. Il y a du miel, délicieux dans toutes les régions d'Altaï, et de la confiture d'argousier que je suis impatient de goûter. Il y a aussi un beurre qu'on me garantit fermier. Il ressemble à celui que j'avais dégusté au Kirghizistan, qui est beaucoup plus jaune qu'aucun beurre que nous connaissons. Lena me dira plus tard qu'il est en fait pré-cuit au four, pendant un long moment à basse température, ce qui lui permet une meilleure conservation. Très bon. Et enfin un cacha (bouillie), peut-être d'avoine, mais comment savoir, où un morceau de beurre est en train de fondre. Avec un peu de miel (tendance française à ajouter du sucre partout) ce sera délicieux.

Quelques minutes et Léonid annonce que c'est l'heure des infos. En Russe bien sûr. Je commence maintenant à comprendre des choses tout seul. Il allume un téléviseur qui se trouve encastré dans une étagère de livres et nous regardons les actualités. Je retiens des inondations, dans une partie d'Asie, peut-être le Japon mais je n'en suis pas sûr. Ce qui est intéressant quand on est en Russie, - le pays dont tout Français vous dira que de la presse est totalement contrôlée par l'état, c'est que finalement leurs informations fonctionnent exactement selon le même schéma que les nôtres. Ce qui ne les rend pas plus indépendantes mais aurait plutôt tendance à démontrer que les nôtres ne sont pas aussi libres que l'on pense… Ce n'est pas un scoop mais c'est toujours bon de le répéter. On ne s'est pas gêné pour nous rabâcher des dizaines de fois qu'on allait démolir la Lybie pour y apporter la démocratie. Et maintenant qu'on a permis de s'y installer le pire pouvoir antidémocratique, on détourne le problème en nous faisant croire que la seule question qui puisse avoir de sens c'est de savoir si oui ou non il est bon d'accueillir ces réfugiés qui fuient le pays qu'on a démoli. C'est épatant comme démarche. Pauvre démocratie... Mais revenons à notre sujet.

Après les infos, Léonid a éteint la télé. On a terminé notre déjeuner et comme Igor n'est pas très causant, Léonid pas trop non plus et qu'il a sans doute du travail, nous nous levons pour repartir chez Alexeï et Larissa. Au moment d'ouvrir la porte, je vois surgir dans le couloir une très jolie femmes en peignoir clair qui nous salue en même temps que son mari.

Depuis le chemin, on peut voir l'ensemble du bâtiment, à qui le galbe transparent de la serre donne un air de vaisseau spatial. En prenant cette photographie je remarque le drapeau qui flotte au vent dans la cour, face au bâtiment. On y voit les trois points rouges que j'ai vus sur un livre feuilleté pendant le déjeuner et qui avait pour titre : « le pacte de Roerich ». Le symbole présent sur le drapeau est celui qui a pris pour nom « la bannière de la paix » et qui dérive directement du pacte de Roerich, qu'on appelle aussi, suivant le contexte, le Pacte de Washington du 15 avril 1935. Dans cet accord, largement inspiré de Roerich, et ratifié par dix pays panaméricains et onze états américains, l'objectif est de protéger le patrimoine culturel et notamment en cas de guerre. La bannière de la paix a de fait le même sens que la croix rouge. Elle définit comme zone neutre le bâtiment sous son étendard, bâtiment appartenant au patrimoine culturel et protège le bâtiment et tout ce qu'il contient.

J'interroge un peu Igor à propos de ce qu'il sait de Léonid. Il me raconte que c'est lui qui a monté cette bibliothèque. Apparemment le projet remonte à 1996, au moment où la bibliothèque personnelle de Léonid était devenue le centre de lecture de plus de 40 personnes. Il décide alors de mettre en œuvre le projet d'une « vraie » bibliothèque. Il monte à Moscou pour essayer de trouver des fonds pour l'aider dans son projet. Igor me dit qu'il a reçu une aide de Soros qui lui a permis le financement. Mais cette aide n'est pas signalée dans le site de la bibliothèque (http://www.altai-urusvati.ru/) donc ça n'engage qu'Igor.

Pourtant, Léonid indique dans son site que, dès le départ, la bibliothèque est dédiée à la femme de Roerich, Elena, ce qui pourrait amener, par pacte de Washington interposé, à un intérêt de Soros. La fondation du milliardaire a des filiales dans le monde entier, et notamment dans les anciens pays soviétiques. Peut-être par le fait que le milliardaire américain est d'origine Hongroise et qu'il n'a jamais caché sa volonté de faire sortir les anciennes républiques soviétiques du joug communiste, - et Russe depuis la fin du communisme. C'est ce qui a motivé l'aide importante que sa fondation a apporté au mouvement du Maïdan en Ukraine.

Pour ceux qui se convaincraient sur ces phrases du rôle positif du milliardaire, ils n'ont qu'à aller lire sa page Wikipedia. Après cela ils seront libres de se faire une opinion sur l'homme qui s'est fait une fortune basée sur la dérégulation des taux de change et qui serait en grande partie responsable de la crise en Europe par le fait de ses dangereuses spéculations.

Quoi qu'il en soit, la bibliothèque est là. Elle est très importante pour cette ville relativement petite, et c'est évident que son rôle sur les écoliers et les futurs étudiants est de toute première importance. Alors, Soros ou pas, le projet est beau, comme le bâtiment, lieu de culture et lieu de vie.

Bientôt la voiture fut chargée et les adieux faits à la famille d'Alexeï. Nous avons repris la route, d'une façon ni plus ni moins agréable qu'à l'aller. Nous nous sommes arrêtés au col de Kyrlykski où j'ai pu faire cette impressionnante photo puis, à nouveau, au petit restaurant de Oust Kan.

Les villes indiquées

Berlin - Moscou (à gauche) Tokyo - Pékin - Vladivostok - Oulan Bator

 

Un autre col un peu plus loin nous donna l'occasion d'un peu de repos et de photographier ces étranges plantes cotonneuses qui envahissent cet endroit.

La suite ne serait que répétition de choses déjà pas très agréables à raconter à l'aller. En tout cas il fut décidé que nous ferions escale à Mangerok, - et cette fois, sous la tente ! C'est ainsi que nous avons dormi à une petite centaine de mètres de ce camp de vacances où j'avais chanté trois ans auparavant... La nuit fut très douce, rien à voir avec le froid des montagnes. Rien à voir non plus avec la nuit du lendemain que j'attendais, maintenant, avec une grande impatience...

  

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Mardi 6 octobre 2015.

C’est difficile de dire exactement où l’on se trouve. Dans un village chor où, me raconte Vanya, sont venus habiter de nombreux géologues dans les années 60. Chors, géologues ? Dans quel monde sommes-nous donc ?

La région où nous sommes partis avant-hier avec Vanya est celle où il a vécu enfant. C’est une région qui se trouve à l’Est de l’oblast de Novossibirsk et du kraï de l’Altaï. Dans cette région vit traditionnellement une ethnie de natifs sibériens, les Chors. Ils ont une langue turque assez proche de celle des Koumandines dont j’ai déjà parlé dans ce blog. J’ai connu cette région grâce au film « Bienvenue en Sibérie » de dont l’action se passe ici, avec une héroïne chore. En poussant un peu plus loin les recherches, j’ai découvert que l’auteur de ce film avait été inspiré par la chanteuse chore : Tchyltys Tannavacheva. J’en avais profité pour écouter de nombreux concerts diffusés sur youtube, et j’avais beaucoup aimé, moi-aussi, ses chansons étranges. Bref, il se trouve que notre ancien voisin Vanya, - qui est la première personne que j’avais interviewée dans les Carnets de Sibérie – est originaire de cette région.

Il y a aussi que je m’intéresse particulièrement en ce moment à la taïga, et que j’avais, disons, envie de la pratiquer un peu, et de collecter quelques informations à son sujet. Vanya étant un passionné de la faune et de la flore de la forêt sibérienne, nous avons profité de l’occasion d’un de ses déplacements ici pour y venir à deux.

Il me reste encore à expliquer l’histoire des géologues… Dans l’endroit particulier où nous sommes venus avec Vanya, il se trouve que le sous-sol est extrêmement riche : Minerais divers, dont notamment de l’or, ainsi que du charbon. C’est d’ailleurs de cette région dont parviennent les aciers spéciaux qui servent à faire les blindages, certaines pièces d’armement et de navigation spatiale. Mais auparavant, pour analyser le sol et déterminer où se trouvent les gisements, il a fallu faire venir de nombreux géologues. Et voilà comment, entre les années 60 et 70 arrivèrent ici des jeunes géologues récemment sortis de faculté et qu’on a aidés à s’installer dans cette région éloignée de tout pour servir l’union des républiques socialistes. C'est ainsi que dans le petit village chor de Kamechek s’est installé toute une communauté de géologues.

Pas de différence avec les maisons des natifs. Sauf peut-être que la maison des parents de Vanya a des murs en briques, alors que l’ensemble des maisons du village est en bois. Mais cela ne veut pas dire qu’elle est plus grande, qu’elle possède plus de commodités. C’est du pareil au même : une clôture en bois, une entrée habritée sous un appenti, des doubles fenêtres, un seul étage, un petit jardinet, la cabane des wc au fond du jardin, de l’électricité mais pas d’eau courante. On se chauffe au bois et au charbon grâce au pechka dont j’ai pu, hier soir et cette nuit, vérifier l’efficacité.

Mais nous ne sommes pas venus directement à Kamechek. Le premier jour, un train rapide, avec même une diffusion de vidéos dans les wagons, nous a conduits en huit heures à Novokouznetsk. Nous étions attendus chez des amis de Vanya qui se sont avérées être des amies. Il y avait Olga, sa sœur Anna, sa meilleure amie Valentine, dite Varia, et une résidente, Natacha.

Ola (puisque c’est ainsi qu’on nomme les Olga) est une amie de lycée de Vanya. Une jolie et grande trentenaire, avenante, vive et qui semble être le cœur actif de l’appartement. Varia est l’inséparable meilleure amie, en parfaite osmose à tel point que je l’avais d’abord prise pour la grande sœur. Elles ont étudié toutes les deux le tourisme, mais Ola s’est orientée vers le journalisme. Elle travaille comme rédactrice et journaliste pour un quotidien sur internet tandis que son amie travaille dans une agence de tourisme. Quant à Anna, elle est atteinte d’un polyhandicap qu’elle a contracté, d’après ce que m’en a dit Vanya, suite au choc qui a suivi l'accident qui a tué ses deux parents. Aujourd'hui ses membres sont totalement dépourvus de force et elle doit compter sur sa sœur, et la journée sur quelques assistantes, pour manger et se déplacer. En revanche, je l’ai vue le matin de notre départ en train d’écrire sur un ordinateur à l’aide d’un long crayon qu’elle tient entre ses dents. Car Anna est écrivain ! Elle a activement participé à nos conversations, avec parfois une difficulté à articuler les mots comme elle l’aurait souhaité, mais avec beaucoup de pertinence.

On a rapidement été invité à nous mettre à table et c’est dans la cuisine que les trois sœurs, ou presque, nous ont tenu conversation jusqu’au moment du coucher.

 

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Mercredi 7 octobre 2015

Le lendemain nous sommes partis pour une visite de cette ville ancienne, d’abord occupée par les Tatars et ensuite par les Russes qui y ont d'abord construit un fortin. Elle s’est ensuite développée au XIXème siècle lorsque le sous-sol de la région a révélé ses richesses. Accompagnés par Valentine, nous sommes partis visiter l'église, assez jolie de l'extérieur, un peu restreinte à l'intérieur puisque seul le rez-de-chaussée est ouvert. Façon probablement de rendre l'édificice chauffable...

Ensuite, Valentine et Vanya m'ont conduit dans une grande isba à quelques pas de l'église pour y visiter le musée municipal. Ce dernier a été installé dans la dernière maison de marchand laissée par le feu de la révolution. Une jolie maison en bois qui révèle la richesse de l’homme d’affaire qui y a vécu. Ce qui est le plus intéressant dans cette histoire, c’est comment cet homme a fait fortune. Il avait installé au rez-de-chaussée un atelier de céramique. On y faisait de la vaisselle rudimentaire en terre cuite, des plats, quelques récipients. Pourquoi cette céramique ? Et surtout pour qui ? Eh bien ce Fonarov avait remarqué l’intérêt que les autochtones portaient à ces poteries. Et ces Kouznietskys - puisque tel était le nom de l'ethnie locale - payaient le marchand avec des fourrures qu’ils savaient chasser mieux que quiconque, - fourrures que le marchand revendait à prix d’or aux fourreurs de la capitale.

Pour le reste, l’intérêt du musée est limité, - excepté la maison elle-même pour qui aurait envie de savoir ce que cachent ces maisons bourgeoises du XIXème. Je présente ci-dessous un ensemble de vaisselle traditionnelle russe puisque j’ai appris qu’on appelait ce style "Khokhloma".

Au moment de partir, suite à une question de Vanya, on nous fait appeler une autre guide, qui est responsable du patrimoine de la ville. On a alors droit à pénétrer dans des pièces non ouvertes normalement aux visiteurs. Et notamment quelques pièces du rez-de-chaussée en rénovation. J'en profite pour faire cette photo. C'est un peu plus tard, alors que mon ami Sergueï Karmeev me demandait, pour un projet d'exposition, une photo de format carré, que je me suis rendu compte de la véritable valeur de ce cliché. Il attendait que cela : devenir une photo carrée...

Après avoir fait la connaissance de Anvar Achilov (photo ci-dessous), qui est le président d’une association tatare qui a son siège dans le musée, nous avons fait quelques centaines de mètres encore pour nous rendre dans le fortin de la ville.

Bien sûr il ne ressemble pas tout à fait à ce qu’il était au XVIIème siècle, moment de sa construction. Il a brûlé plusieurs fois et surtout a été bien endommagé par l’armée rouge qui n’avait pas une grande estime pour ce genre de lieux. C'est en effet grâce à des lieux fortifiés de ce genre que l'armée blanche a résisté pendant un certain temps à la conquête bolchévique. Le fort est aujourd'hui bien restauré et accueille de nombreux cars de tourisme, comme celui que j'ai vu garé devant le portail.

Le fortin abrite un ensemble de musées assez bien fournis, couvrant la période de l'antiquité, le monde indigène, tatare (premiers colons), la Russie militaire des cosaques et enfin celle des russes aisés qui sont venus s’installer ici avec le développement des mines et des fonderies. C'est dans cette dernière salle qu'on a fait de moi un portrait dans la grande tradition des photographes du XIXème siècle.

Je ne vais pas m’étendre sur le contenu des musées. Je l’ai largement fait dans les Carnets de Sibérie et finalement, dans cette région voisine du kraï de l’Altaï, les contenus se recoupent beaucoup.

Vanya et Valentine

Après un déjeuner rapide avec Valentine qui nous a gentiment accompagnés avec sa voiture, et Olga qui a partagé avec nous sa pause déjeuner, nous avons filé à la gare prendre un nouveau train. Cette fois pour la ville de Mejdouretchensk. Comme Olga nous avait parlé de son père, un ami de Vanya qui se nomme Alexander, j’ai d’abord cru que c’était lui qu’on allait visiter. Car aussitôt sortis de la gare j’ai bien compris que Vanya cherchait l’appartement d’un Alexander. Je savais aussi que le père d’Olga a découvert, grâce à Vanya, un endroit tout à fait passionnant dans la taïga. Il s’agit d’une forêt de rochers de granit dressés, comme j’en avais vus au nord de la République Tchèque, et qu’il aimerait en promouvoir le développement touristique. Donc on aurait très bien pu visiter cet Alexandre là. Mais il s’agissait d’un autre.

Alexander Arbatchakov appartient, avec sa femme Louba, à l’ethnie Chor. Ils nous ont reçu dans leur appartement avec beaucoup de gentillesse, d’autant plus qu’ils ne sont pas des amis proches de Vanya. Dès notre arrivée ils nous ont prié de nous mettre à table pour y manger des pel-ben, ce sont de gros pelmenis qui sont une spécialité chore. Autour des pel-ben fourrés au tvarok (sorte de fromage blanc) et au calba (ail des ours), Alexandre et Louba nous proposent un vin de cassis, du thé bien sûr, des confitures, du melon jaune coupé en morceaux, - enfin quantité de bonnes choses. Par chance Alexander parle anglais, ce qui permet d’installer une certaine chaleur dans nos conversations. Je me mets donc à expliquer le motif de ma visite. En fait je cherche des informations pour un projet littéraire. Il me demande de lui parler du projet et j’ai donc bien été forcé de lui faire un petit synopsis, moi qui ai si peur de parler de mes projets en cours, - et surtout quand la première ligne n'a même pas encore été écrite... Aurai-je la force de le mener jusqu'au bout ? Voilà la question qui est au coeur de l'effroi de l'écrivain. Pas rassurant tout ça… Mais bon, l’idée a semblé l’intéresser. 

A vrai dire je ne savais pas encore très bien qui était cet Alexandre et pourquoi Vanya m’avait conduit chez lui. Je lui pose donc la question. Il me répond qu' il est responsable de la conservation d’une réserve naturelle qu’il a lui-même créée. Je verrai en sortant de chez lui une photo où l’on voit la reine Elisabeth en personne lui remettre un Award pour son projet de réserve. Rien que ça…

On peut donc dire qu’Alexandre est un spécialiste de la Taïga, c’est d’ailleurs ce que m’en avait dit Vanya il y a quelques jours. Mais encore fallait-il savoir de qui il parlait exactement. La confusion découlant du savoir approximatif des langues.... Nous faisons les présentations en mangeant et, avant qu’on ne s’enfonce dans la thématique de la Taïga, Alexander tient à ce que je découvre le travail de sa femme. Galanterie ou confiance en l’effet de l’œuvre de son épouse, - en tout cas, Alexander se révèle un vrai gentleman. Et Louba le lui rend bien. Le couple, en parfaite communication, est vraiment charmant. Nous les suivons dans le salon à côté. Louba sort alors ses toiles, les posant l'une sur l'autre en me laissant à peine le temps de les regarder. Il n’empêche : le résultat est convainquant. Sans jamais avoir été formée, sans école, sans professeur, Louba a fait confiance à son œil et à son cœur. Son style est souvent pictorialiste, tantôt graphique à la limite de l’abstraction. Mais il peut être aussi délibérément figuratif. A cela s’ajoute un goût très sûr de la couleur qu’elle exploite avec véhémence. Elle a illustré plusieurs livres, exposé dans de nombreuses villes de Russie, et son travail me fait penser un peu à celui que j’ai vu réalisé par  d'autres artistes de peuples natifs d'Amérique ou d'Afrique. Un beau travail que je laisse le loisir de découvrir.

                              

Après l’exposition des peintures de Louba, j’invite Alexandre à s’asseoir pour un interview. Je ne rentrerai pas dans le contenu pour plusieurs raisons dont la principale est que les réponses étaient en Russe et que je n’ai à peu près rien compris. Il faudra que Lena m’aide à traduire ces mystérieuses révélations concernant la taïga. Après l’entretien, Alexandre m’a présenté son travail photographique. Il y avait notamment de très beaux portraits d’un chaman chor, d’un kaï (chanteur de longs récits avec une voix diphonique) et d’une chaman près de laquelle je fus surpris de retrouver le photographe Valery Klamm dont j’avais fait la connaissance au début de ma résidence en Sibérie, en 2012. Cependant, ces trois représentants de la tradition chore ne sont plus en vie aujourd’hui, et s’il y a encore des kaïs vivants et en activité, pour ce qui est des chamans, - je veux parler des chamans authentiques – ils sont en voie de disparition me dit mon hôte avec regret… Louba profite de la conversation pour m’offrir un très beau livre qu’elle a illustré où se trouve le texte en chor et en russe de nombre de légendes chantées par les kaïs avec, en fin de livre, un CD audio. J’espère qu’un jour je serai en mesure de lire ces textes, au moins en russe…

Et puis, soudainement, Vanya me dit que nous devions partir. Et cette fois il ne faut pas tarder car le bus pour Kamichek va bientôt arriver. Nous voilà presque à courir, parfois complètement, ce qui amuse une passante voyant rebondir nos gros sacs à dos. Il fait nuit et nous longeons de longs immeubles puisqu’il semble que cette ville ne soit constituée que de ça. En effet, Mejdouretchensk date de 1955, et ne doit son existence qu’à ses nombreuses mines de charbon. Nous finissons par arriver un peu en avance. Dans l’attente de notre bus, je suis surpris par l’harmonie de roses qui domine l’intérieur du bus devant moi. Je sors mon appareil rapidement et arrive à prendre cette photo avant que le bus ne reparte…

Il nous faudra environ 50 minutes pour arriver dans un village minuscule, Kamechok (ou Kamechek), posé au bord d’une rivière, la Tom. Nous traversons une voie ferrée et nous engageons sur un chemin de terre. Un lampadaire tous les cent mètres suffit pour qu'on ne se perde pas dans l’obscurité. Le silence est seulement rompu par la lubie de quelque chien, suivi par une poignée de ses semblables. Vanya s’approche d’une barrière en bois, en ouvre le portillon. Après quelques minutes à chercher la clé dans quelque place secrète, il me fait entrer dans l’isba. Pas le grand standing, pour faire un euphémisme. Il me semble faire un saut dans la Russie soviétique des années soixante. Je pensais qu’on arrivait dans une maison habitée à l’année mais on voit bien que ce n’est pas le cas. Tout semble vieux, comme si le temps s’était arrêté. Il me faudra du temps pour m’habituer, - c’est comme ça nos habitudes de confort. Même notre petit appartement krouchtchevien d’Akademgorodok me semble un palace à côté. En outre il ne fait pas bien chaud. Vanya part chercher de quoi allumer le pechka. Pendant quelques heures le froid résistera, et puis la masse de brique va se charger peu à peu de chaleur et se mettre à la répartir dans la maison.

La première nuit sera fraîche, mais je serai surpris au matin de m’apercevoir que je n’ai plus froid du tout. En arrivant près du fourneau je verrai que le charbon est encore rouge. Mais bon, nous n’en sommes pas encore là... Je m’enfonce dans mon duvet, mets mon sweet shirt sur mon visage, - la meilleure façon de ne pas avoir le nez froid - et je m’endors dans ce bled perdu de Sibérie... 

 

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Jeudi 8 octobre 2015.

Au lever, j'explore les petits secrets de cette maison qui m'accueillera pendant quatre jours. Cette impression d'abandon que j'ai eue en arrivant vient du fait que la maison n'est plus habitée depuis la séparation des parents de Vanya, et que sa mère, qui en garde l'usage, n'y est pas venue depuis au moins trois ans. En revanche y passe de temps en temps celui qui est devenu le beau père de Vanya, et qui est, on apprend des choses en posant les questions peu à peu, le père d'Olga, celui-là même qui travaille depuis quelques années sur le développement du site découvert avec Vanya. Cet Alexander fait de la maison une sorte de relais de chasse, et ne doit pas avoir beaucoup de temps pour faire de la maison un lieu hospitalier. De son côté la maison fait au mieux dans son état pour nous recevoir. Et il lui reste encore quelques bons atouts. Son petchka par exemple (le poêle), qui chauffe allégrement. Et, quand on veut bien remettre en ordre quelques regrettables négligences, on se rend compte qu'il ne manque pas grand-chose au salon pour se rendre accueillant.

La maison a quatre pièces : une petite chambre à droite en entrant, la cuisine à droite où l'on peut tenir assis au maximum à trois. Au bout du couloir d'entrée il y a le salon, la plus grande pièce de la maison. Enfin, par une petite porte au fond de la cuisine, on pourrait accéder à la seconde chambre si elle n'était à ce point embarrassée de toute sorte d'objets qui la rendent impénétrable. C'est la pièce la plus froide de la maison, - peut-être ce qui lui a valu ce statut de pseudo grenier. Le pechka (le poêle de masse) est placé dans la cuisine, et, comme je l'ai déjà décrit par ailleurs, les fumées partent du poêle et s'enfoncent dans un système complexe de canalisations qui traversent une énorme masse en brique. Cette partie du poêle fait plusieurs mètres cube et s'intègre aux cloisons de la maison, ce qui fait que la chaleur qu'elle irradie peut se transmettre à toutes les pièces. Le pechka est donc la partie centrale de la maison qu'on commence à construire en premier. Le reste de la maison se construit autour. C'est pourquoi aussi ces maisons ont toutes le même schéma : elles n'ont qu'un étage et leurs dimensions se valent puisqu'en gros il ne faut pas dépasser le volume que la petchka peut chauffer. Le nombre de pièces est assez constant aussi et les portes entre les pièces limitées afin que la chaleur puisse circuler partout.

Ce matin il fait beau et le temps ne nous fera pas faux bond pendant tout le séjour. Après un petit déjeuner sommaire, nous partons au seul magasin du village faire nos provisions pour le séjour. Nous longeons la rivière et la voie ferrée qui sont certainement les origines de l'implantation et du développement du village. Très rapidement aussi je m'apercevrai que le trafic des trains, très régulier (un train d'une soixantaine de wagon toutes les trois heures environ) est lié au transport du charbon. Dans le magasin j'ai la surprise de découvrir cette cage qui protège le stock et les vendeuses. Une sorte de cage à oiseau qui témoigne du risque qu'a représenté pendant une certaine époque (mais laquelle?) le fait de vendre de la nourriture. Autre fait que je remarque : un quart des rayons est consacré à la vente d'alcool…

Un peu plus tard Vanya me propose une première promenade en forêt. Nous prenons un chemin qui monte vers la colline sur laquelle le village est appuyé, et qui a donné son nom au village : Kamechok veut dire : « petit rocher ».

En suivant le chemin, nous passons à droite du petit cimetière, entouré par ces tubes de métal peints en bleu ciel, trait caractéristique des cimetières orthodoxes. Et puis Vanya prend un sentier sur la droite, parmi les hautes herbes. C'est là qu'il m'explique son projet d'utiliser cette zone non forestière pour créer une sorte de jardin botanique, présentant des espèces rares d'arbres en en indiquant les noms dans un but pédagogique. C'est ce projet qui sera le sujet principal des nombreuses conversations qu'il aura au téléphone ces quelques jours, sans compter quelques rendez-vous.

Plus tard nous sommes dans une forêt que je ne trouve pas très différente des forêts que je connais. Dégagée, un sous-bois praticable, c'est une forêt entretenue par les gardes forestiers de la contrée. On remarque cependant certains sapins très étroits et pointus, fièrement dressés au-dessus des arbres feuillus. Et puis aussi quelques pins sibériens, avec leur cime arrondie. Nous rejoindrons bientôt le chemin qu'un ruisseau s'est mis à emprunter lui-aussi. Après tout, c'est encore dans son cours qu'on peut marcher le plus facilement. Vanya avait raison : les bottes, pour marcher en forêt à cette saison, c'est encore ce qu'il y a de mieux...

Nous rentrerons tout doucement au village que l'automne et le soleil parsèment de couleurs vives.

L'après-midi nous repartons après le repas pour une nouvelle promenade. Tout d'abord nous longeons la voie de chemin de fer et la rivière qui se rapprochent pour devenir parallèles à la sortie du village. Nous marchons tantôt sur le chemin qui borde la rivière, tantôt à côté des voies lorsque d'énormes flaques d'eau barrent le chemin. Parfois nous croisons le cours d'un ruisseau, comme celui de ce matin, qui vient se jeter dans la rivière. Et c'est au moment où nous en croisons un nouveau que Vanya me propose d'aller voir la petite cascade que fait le ruisseau juste avant de passer sous la voie ferrée. Nous commençons par monter un talus au bord de la voie ferrée et remontons en longeant la cascade. Au début il y a un semblant de chemin mais Vanya prend bientôt sur la droite pour s'enfoncer dans la forêt. « Cette forêt, m'explique-t-il, n'est pas exploitée comme celle qu'on a vue ce matin. Tu vas voir à quoi ressemble la taïga primitive. »

Heureusement que nous sommes en octobre. Tout d'abord en cette saison il n'y a pas de moustiques. En juin par exemple, juillet aussi, c'est un enfer de mouches qui piquent et de moustiques. Et puis, en cette saison, la majorité des grandes herbes sont cassées par la pluie et le vent. On voit en effet les tiges longues et creuses comme du bambou couchées, en majorité, sur le sol. « En été, me dit Vanya, on ne pourrait pas passer. En plus on ne verrait pas où on se trouve.'' C'est pourquoi c'est la saison idéale pour se promener dans la forêt. Et puis il fait bon. J'ai enroulé les manches de mon anorak autour de ma taille. Le sweet-shirt est bien suffisant.

Plus on avance, plus la forêt devient encombrée de troncs cassés, de souches, d'herbes, de branches. C'est un vrai fouillis. Parfois un grand pin se dresse parmi tout ce désordre, parfois ce sont les sapins pointus comme ce matin. Curieusement on voit aussi pas mal d'arbres à baies, et notamment les sorbiers qui ont perdu en cette saison une grande partie de leurs feuilles. Ce qui fait que le rouge vif des sorbes, ces baies rouges en grappe, est éclatant dès qu'un rayon de soleil passe par là. Vanya, qui a la passion des arbres, inspecte les feuillages alentour en quête de quelque anomalie. Il m'invite à venir découvrir un très gros pin sibérien et m'explique que les chasseurs peuvent solliciter le grand arbre pour dormir, son tapis d'aiguilles étant assez confortable et isolant. Il m'explique aussi que c'est à l'intérieur des troncs creux qu'on peut trouver par temps de pluie des aiguilles sèches pour allumer un feu.

 

Nous nous enfilons sous des branches, marchons en zigzag, enjambons des troncs couchés sur le sol. On se dit qu'à l'époque où le chemin de fer et les routes n'existaient pas, on ne devait pas parcourir beaucoup de kilomètres chaque jour. Et je pense à ces géomètres qui sont arrivés ici avant quiconque et qui devaient bien traverser des endroits pareils pour découvrir les sites des mines de demain... Peut-être s'adressaient-ils à un Dersou Ouzala chor pour leur indiquer quelques itinéraires plus commodes...

     

Le jour commence à baisser lorsque nous décidons de couper complétement sur notre droite plutôt que de revenir par le même chemin. Le sol se met alors à s'incliner fortement. Toujours avec mes bottes de caoutchouc, je m'agrippe aux branches des arbustes pour ne pas glisser. Nous dévalons la colline pour nous retrouver au bord de la voie ferrée. Nous avons fait une boucle en somme.

En revenant par le chemin, en bordure de rivière, quelques flaques d'eau me donnent l'occasion de composer avec le soleil couchant... 

 

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Vendredi 9 octobre 2015

 

Quelle jolie vue en sortant de la maison…  J'ai souvent entendu des photographes louer la lumière de l'aube. A vrai dire je n'en suis pas très friand généralement. Mais aujourd'hui c'était plutôt accueillant ce mélange d'or et de brumes.

 

 

Ce  vendredi nous avions un programme particulier. Prendre le train tout d'abord, pour nous rendre dans le village de Teba. Et puis nous devions visiter un musée et, l'après-midi, aller cueillir des canneberges ! Les amateurs de musique anglo-saxonne connaîtront peut-être le nom de ce fruit en anglais : cramberries.

 

Dans le train je suis surpris du nombre de gens qui l'occupent et surtout de leur type. C'est d'un vrai train touristique qu'il s'agit : des sacs à dos recouvrent les filets porte-valises, des cannes à pêche encombrent les allées, - et surtout il y a vraiment tous les âges et les deux sexes à parité représentés. On se croirait dans les Alpes en plein été ! Quant aux sacs à dos, il y en a de deux sortes. Des normaux qui appartiennent à tous ces jeunes qui, à mon avis, forment un seul groupe, et d'énormes autres qui appartiennent aux pêcheurs. Quand je demande à Vanya pourquoi ces sacs sont si gros (et comment on peut marcher longtemps avec ça dans le dos ?) il me répond que ce sont sans doute des canots pneumatiques qui sont dans les sacs. C'est en tout cas dans ce genre de sacs que les pêcheurs les transportent. Quelle effervescence et quelle ambiance sympathique ! Les pêcheurs discutent sérieusement de leur voix grave, les jeunes d'à peine dix-sept ans discutent, partagent les deux écouteurs d'un e-phone, s'appuient l'un(e) sur l'autre pour dormir. Un vrai parfum de vacances !

 

 

Lorsque nous descendons à l'arrêt de Teba où aucune gare n'est visible, juste un quai et un panneau, le train s'est déjà vidé d'une partie des voyageurs. Et notamment le groupe des collégiens. Ce qui nous a permis de trouver une place sur les banquettes en bois, et donc de faire la photo de ce jeune homme et de son reflet sur la cloison du train.

 

 

Dehors c'est un village très coloré qui nous accueille. Je remarque qu'il y a presque un side-car devant chaque maison ! J'ai déjà vu le service que rend cette petite annexe du motard : on s'en sert comme brouette motorisée, comme plateforme pour transporter à peu près n'importe quoi. Et avec ça on peut aller presque n'importe où…

 

 

   

 

Plus loin, une maison est non seulement colorée mais aussi peinte et semée d'illustrations, de décorations, de sculptures. « C'est le musée de Victor Kharin » me dit Vanya. L'homme nous accueille sur le parvis de la maison. Il nous fait entrer et se met à commenter les scènes qu'illustrent de grandes toiles suspendues à l'entrée. Je comprends plus tard que c'est lui même qui les a peintes. Il s'agit de scènes inspirées par la situation des prisonniers dans cette région de mines. C'était à la période des Tsars, histoire de savoir qu'il n'y a pas eu que des camps sous Staline… Les prisonniers à cette époque venaient ici comme on allait au bagne chez nous. Ils étaient marqués au fer rouge, sur les épaules, sur le visage, par trois lettres : K A T, ce qui signifiait : Katarga, le nom de ces bagnes sibériens. Ils étaient aussi enchaînés aux pieds et aux mains à une sorte de petite brouette en bois avec laquelle ils dormaient.

 

   

 

   

 

A l'étage du musée, des accessoires de toutes sortes récupérés par Victor dans la taïga, généralement sur des sites où se trouvaient les camps autrefois. Des fragments de céramique, de métal, croix religieuses en or, des anciennes batteries, outils, matériel médical, fragments d'outillage, et aussi un nombre important de pierres décoratives, géodes coupées en deux et polies. Il nous fait la démonstration du pouvoir incendiaire de la noire hématite qui, lorsqu'on la frappe avec un bout de métal provoque une gerbe d'étincelles. Il nous explique qu'associée avec un champignon de souche, l'amadouvier, l'hématique devient un véritable briquet. Le voilà alors parti dans de longues explications sur la façon de préparer l'amadouvier afin de le rendre très inflammable : il faut le cuire une heure dans de l'eau salée, le faire sécher. L'amadou tiré du champignon est en effet utilisé pour allumer des feux depuis la préhistoire. Il raconte beaucoup d'anecdotes que Vanya n'a bien sûr pas le temps de traduire, et n'a même pas le vocabulaire tout simplement. Ce qui fait que je trouve ces explications un peu longues... Alors j'en profite pour faire des copies de ces photographies rassemblées dans un porte-document, photoographies réalisées au début du siècle. Je vous fais profiter de ce vol mineur et imaginer la triste condition de ces prisonners, probablement à vie, et la condition de ces habitants autochtones, enfants chors au ventre à l'air...

 

 

 

Il est visible que Victor, né dans ce village perdu en Sibérie, a fait montre toute sa vie d'une grande sagacité à apprendre tout ce qu'il pouvait, tant en connaissances qu'en savoir-faire. Un esprit curieux et passionné, d'une grande sensibilité, qui a finalement réussi la prouesse de monter ce musée de toutes pièces, sans financement. Sa maison se trouve au centre du village et il est impossible de ne pas la voir, éclatate de couleurs, de lettrages, de personnages et de tous ces petits détails qu'adorent les enfants et les adultes curieux. Nous sortons dans le jardin, découvrons l'espèce de train qu'il a fait pour amuser ses petits enfants, sans oublier la tyrollienne maison bricolée par le fantaisiste grand-père ! Vanya parle des arbres, Victor de la taïga et des mines. Il nous conduit ensuite vers un grand hangard encore en travaux. Il nous dit que bientôt ce sera là qu'il installera son musée. Nous entrons, arrivons dans une pièce avec un canapé, une bouilloire et, dans la pièce d'à-côté, un poêle en fonte et un évier à l'eau courante ! On n'imagine pas combien ce sont des denrées rares dans ces villages ou l'eau courante est un rêve de science fiction ! C'est là que nous prendrons quelques minutes pour dévorer notre casse-croûte.

 

Au moment de partir, Vanya aperçoit la femme de Victor. Nous allons donc la saluer et j'apprendrai que, si Victor est originaire du village, les parents de sa femme ont, eux, été déportés ici. Déplacement punitif qui a dû précéder la guerre de peu. Mais je n'ai pas pu avoir trop de détails, toujours pour des raisons de contraintes linguistiques... C'est bien dommage que je ne progresse pas plus vite dans ma connaissance du russe...

 

L'après-midi nous partons, droit devant nous, rejoindre la rivière et la voie ferrée. Après avoir essayé le chemin, nous décidons que marcher sur la voie est vraiment plus pratique. Les flaques d'eau sur le chemin deviennent parfois des mares difficiles à traverser.

Plus on avance, plus la zone entre le rail et la rivière s'élargit, et plus elle devient marécageuse. Nous marchons une bonne heure. Et puis Vanya me prévient que nous allons quitter la voie ferrée. Nous nous enfonçons  dans une zone recouverte d'une herbe jaune et débordant d'eau. Nous avançons lentement, évitant de laisser nos pieds glisser entre deux mottes de terre et d'herbe entre lesquels sont des trous gorgés d'eau. Quand ça arrive, je suis très content que le niveau de l'eau ne dépasse pas la hauteur de mes bottes. Mais je préfère éviter et avance en posant les pieds d'une motte de terre à l'autre. Après environ 300 mètres de ce mauvais traitement, il semble que le sol, bien que toujours gorgé d'eau soit plus régulier. On peut marcher plus confortablement. Par terre, toujours ces grandes herbes jaunies et, contre le sol, une mousse bien verte est peut-être bien responsable de la stabilisation du terrain. Et soudain, une petite bille rouge ! Notre première canneberge !

Il faut apprendre à récolter ce fruit discret et cachottier. En fait il vit en osmose avec une mousse, la sphaigne, mère de toutes les tourbières, qui protège ses tiges et ses feuilles très fines des végétations envahissantes. Pour trouver les baies de canneberge il ne faut donc pas hésiter à glisser les doigts entre les tiges de la mousse car c'est là que je se cachent les petites graines. Quand on a compris ça, on commence à devenir un cueilleur efficace. Au début, on ne prend que les baies visibles. Et bien sûr, la majorité est cachée dans la mousse. Vanya a sorti un sac en plastique et la cueillette a commencé sérieusement. En deux heures environ nous aurons récolté un peu moins de deux kilos. A cela il faut aussi ajouter toutes les baies que nous avons avalées... En fait, surtout moi....

Bientôt nous entendons des voix. Un homme et une femme se rapprochent le nez collé au sol, s'agenouillant régulièrement. Nous ne sommes pas les seuls à connaître le coin. A propos du paysage, Vanya m'explique que les bouleaux, dans ce sol marécageux, ne peuvent pas grandir. Ils meurent assez jeune et on en voit beaucoup le tronc cassé au niveau des premières branches. C'est ainsi qu'on peut repérer de loin une zone où trouver la précieuse baie.

Mais notre train part vers 16 heures. Il ne faut donc pas trop tarder. Nous rangeons la récolte dans nos sacs et repartons rejoindre directement la voie ferrée. Ce sera plus rapide par cet itinéraire. En route nous nous arrêtons dans une propriété perdue dans la taïga. On y élève des abeilles, des chèvres et on cultive son jardin. Vanya pose des questions à la fermière à propos d'un noisetier très rare qu'elle possède dans son jardin. Elle est en train d'indiquer la grosseur des coques quand je la prends en photo.

  

Nous rejoignons la station un peu en avance. Quelques personnes attendent déjà, et par commodité se sont assis par terre et partagent boissons et friandises. Les Russes adorent les sucreries, et certaines boissons aussi bien sûr. Surtout qu'on ne boit jamais sans manger ici... Dans cette univers bucolique nous profitons de la chaleur du soleil. Il fait bon, l'air est parfumé. Nous sommes bien...

 

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Samedi 10 octobre 2015

Dernier jour de présence ici. Demain je reprends le bus. Le matin nous allons comme chaque jour nous approvisionner en eau à la source. Nous partons avec trois seaux le long du chemin principal du vieux village. Il y a effectivement un autre village de l'autre côté, près de l'épicerie, de la station de train et de bus. Les maisons sont aussi en bois mais plus récentes et, surtout, plus ou moins toutes semblables. Elles ont été construites pour les géologues et j'aimerais pouvoir récupérer une photo aérienne que m'avait montrée Vanya pour voir cet étonnant ensemble d'isbas alignées le long de trois chemins.

Mais de notre côté c'est différent, aucune maison ne ressemble vraiment à sa voisine, et surtout, aucune n'est alignée. Les unes sont construites au bord du chemin, d'autres en retrait comme celle-là.

Le premier soir nous étions allés chercher de l'eau dans une autre source qui se trouve un peu plus haut que la maison, à flanc de colline. Mais j'ai trouvé que l'eau était assez trouble et pas très appétissante. Nous avons donc pris l'habitude d'aller à la seconde, à environ trois cent mètres de la maison. L'eau est un peu plus claire mais quand même, un nuage trouble en voile la clarté. D'après Vanya c'est dû aux pluies qu'il y a eues les semaines passées. Peut-être… En tout cas la veille dans le village de Teba, les sources que nous avons croisées sont d'une transparence absolue. Ça rend envieux… Mais après tout, nous avons bu cette eau à travers de multiples thés et notre organisme ne nous a manifesté aucun désagrément. Elle doit être potable, en tout cas une fois bouillie (je t'ai pas tenté de la goûter sans la bouillir. Je me méfie des eaux troubles…)

Bref, de retour à la maison, le feu relancé d'un petit coup de gribouille pour remuer les charbons ardents et rafraichir le tirage, nous avons pris un long petit déjeuner. Pas de programme de sortie aujourd'hui, nous attendons un certain Robert qui doit nous retrouver à la maison. Auparavant une femme du voisinage est passée, pour  récupérer des photos qu'elle a prêtées à Vanya. Il s'agit de photographies de famille du village que Vanya m'a demandé de copier. Je vous en propose quelques unes, dont celle où l'on voit cette femme exhiber un poisson énorme, le saumon de Sibérie, un poisson d'eau douce, fréquent autrefois dans ces rivières, maintenant un peu plus rare… Sur les photos on y voit surtout des géologues hommes, femmes, et leurs jolis enfants. Les habitants principaux du village. A propos je n'ai pas croisé de personnes de type chor dans le village. L'ont-ils déserté ?

      

      

      

      

La femme est repartie après avoir bu le thé avec nous. Elle était venue avec une tablette de chocolat que nous avons allègrement croquée. Une demie-heure après, un homme arrive. Je pense d'abord que c'est ce Robert que nous attendons, mais non, c'est un autre voisin qui est venu, lui, sans apporter de chocolat.

Plus tard, le dernier visiteur reparti, un homme frappe à la porte. Il a un joli visage souriant et il apporte avec lui de bonnes choses : une assiette pleine de crêpes encore chaudes, une boite de thé, une petite boite dans laquelle se trouvent des bulbes de fleurs séchés, pour faire de l'infusion m'explique Vanya. Pour la première fois j'arrive à faire entrer quelqu'un au salon. On y amène le thermos de thé, les crêpes, les tasses, du miel, du sucre, - bref, tout ce qu'il faut pour accueillir un invité. Vanya a proposé à Joseph de venir nous voir parce qu'il a été trappeur pendant douze ans dans la taïga. Il a dû faire ça, d'après nos calculs, entre l'âge de trente et quarante ans. Très rapidement nous en venons à parler de cette expérience car, bien sûr, j'ai plein de questions à lui poser sur la vie dans la taïga !

Joseph allait chasser avec sa femme. Ils partaient pour six mois tous les deux dans un lieu où on les conduisait par hélicoptère. Ils apportaient pas mal de vivres : des boites de conserve, des pommes de terre et différents sacs de nourriture sèche tels que Farine, riz, sucre, etc. Le territoire de chasse qu'exploitaient Robert et sa femme faisait environ 50 km par 100 km. 5000 km² autant dire. Ils y utilisaient trois cabanes de chasse qui leur permettaient de pouvoir dormir sur tout le territoire. Ils chassaient le vison bien sûr, mais aussi la zibeline, l'écureuil, l'hermine et autres mammifères, la liste est longue. Mais j'ai cru comprendre qu'ils pouvaient aussi tuer des ours et des renards.

Je n'ai pas eu la présence d'esprit de lui demander pourquoi il avait arrêté ce métier. En revanche il m'a dit qu'à l'époque il gagnait trois ou quatre fois ce que gagnait un mineur. Depuis, il est devenu fonctionnaire. Il travaille à la poste. Là encore il y a des réponses qu'il a faites à mes questions dont je ne connais pas encore le contenu, et cela tant qu'on n'aura pas réussi à se caler un moment avec Lena pour les traduire. Mais en tout cas nous sommes arrivés à un constat, c'est que pour vraiment découvrir la taïga, la façon d'y vivre, voire d'y survivre, il fallait y rester plusieurs jours. Suite à mes questions, Robert en est venu à me proposer de m'accompagner une semaine sur un territoire qu'il connaît, et de découvrir l'habitat des trappeurs sibériens, ces cabanes qui se cachent dans les forêts et que seuls les chasseurs connaissent. Je me suis mis à espérer de toute mon âme que cette proposition devienne réalité. Si tout se passe bien, et il y a plusieurs choses qui pourraient en menacer la réalisation, - si tout se passe bien donc, nous pourrions partir une semaine en novembre… et là, ce ne sera plus la taïga jaune et brune, mais blanche et brune, - en novembre, la neige sera là…

 

Après être resté avec nous plusieurs heures, Robert s'est levé pour nous quitter. Il avait toujours cet air joyeux et cette bonne mine qui me fait supposer que ces années comme trappeur avaient eu sur lui une influence bénéfique… A moins que ce ne soit son métier actuel d'employé des postes qui lui permît de conserver une aussi bonne mine. Nous nous sommes serrés la main en espérant qu'on se reverrait bientôt… On verra…

Quelques minutes après le départ de Robert, Vanya s'en va visiter ses voisins à propos de notre soirée dans leur banya.

Vanya/Banya, - à ne pas confondre. Le banya est le sauna russe et nous avons prévu qu'un peu d'hygiène nous ferait le plus grand bien, et cela malgré notre plongée rapide dans la rivière la veille. A ce propos, l'eau était si froide que je n'ai même pas pu faire une brasse. Mais j'ai réussi à m'immerger et à me frotter le corps - on peut dire que j'étais lavé. Quant au banya, ce n'est pas qu'une question d'hygiène, c'est aussi une question de plaisir et de santé générale.

C'est aussi une grande tradition populaire russe...

Lorsqu'il revient, Vanya m'explique que c'est d'accord et que maintenant il faut aller préparer le sauna. Nous remontons le jardin derrière la maison et passons chez les voisins par un petit portail prévu à cet effet. Vanya me dit que ses parents et les voisins étaient très proches et que lui et son père ont aidé ceux-ci à construire la petite maison au fond du jardin, là où se trouve le banya. Ce qui leur a donné un droit d'utilisation de celui-ci. Échange de bons procédés. 

Chez les voisins c'est plutôt coquet. On n'aura pas l'occasion de rentrer dans la maison, mais rien qu'à voir le jardin, cela suffit à se rendre compte que, contrairement à la maison de Vanya, ici le temps ne s'est pas arrêté. On y voit plein de petites choses qui indiquent qu'on a toujours essayé de faire évoluer l'espace. Il y a un petit kiosque avec une table, des bancs et même un canapé balançoire. Il y a plein de décorations marrantes et colorées un peu partout, il y a des escaliers, on a fait des paliers pour gérer le terrain pentu, et surtout, il y a un ROBINET ! Pas besoin d'aller à la source, même si, visiblement, c'est la même eau un peu trouble qui coule du robinet. On en profite pour remplir des seaux afin d'amener l'eau dans le banya. Car évidemment dans le banya il n'y a pas l'eau courante. Une question qui me vient à l'esprit : s'il y a un robinet d'eau courante dans le jardin, pourquoi n'y en a-t-il pas dans toutes les pièces et parties de la maison ? Mystère… Serait-ce le gel le problème ?

Après l'eau, le feu. Vanya est allé chercher du bois pour l'allumer. Il ne démarre pas aussi facilement que celui de la maison mais, après un bon quart d'heure, voici les morceaux en train de crépiter. Il faudra attendre encore un peu avant d'ajouter le charbon car, pour qu'il prenne, il faut que le bois soit bien chaud. Enfin le bain est prêt : il y a de l'eau dans le grand réservoir de la pièce chaude, il y a de l'eau dans le réservoir du poêle. Vanya donne un coup de balai, puis nettoie le sol en y faisant couler de l'eau. Il n'y a plus maintenant qu'à attendre que ça chauffe. Dans deux heures environ nous pourrons revenir.

Je profite de l'attente pour aller faire quelques courses et préparer le dîner : ce sera des spaghetti avec une sauce à la tomate et aux calamars. C'est mieux que les boites de sardines, - même si celles-ci ont le nom marrant de Saïra, - y voir un résidu soviétique car la marque est bien sûr inspirée de notre célèbre chanson « Ah ça ira, ça ira, ça ira, les aristocrates à la lanterne !... »

Deux heures plus tard nous retournons dans la petite maison en bois. La pièce chaude n'est pas surchauffée, je suis très content car je suis entré parfois (ou plutôt je n'ai pas pu entrer) dans des banya à la température torride. Nous nous déshabillons (les russes n'ont aucune pudeur dans le banya. C'est d'ailleurs le seul endroit où leur pudeur tombe…) et entrons dans la pièce chaude. La température va monter lorsque Vanya met de l'eau sur les grosses pierres brûlantes du poêle. Puis nous nous servirons des rameaux de bouleau pour les massages fouettés qui sont une merveille pour la circulation du sang. Après avoir bien transpiré, petite pose dans la pièce tiède. Ensuite on n'ajoutera plus d'eau sur les galets et ce sera le moment de faire la toilette, lavage des cheveux et du corps, - pour finir par nous rafraichir brutalement en nous aspergeant d'eau froide. Voilà le rituel du banya terminé. Nous nous essuyons, nous rhabillons et rentrons, après une bonne heure passé dans le banya, pour une parfaite nuit de sommeil...

 

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