Vendredi 21 septembre 2012, Novossibirsk

 

Deux jours de congés. J’ai décidé d’aller à l’Opéra à Novossibirsk. Valery et Tatiana m’ont conduit à la gare où, cette fois, j’ai pris un bus. Ces petites vacances étaient nécessaires car j’étais épuisé. J’ai donc passé la moitié du trajet à dormir et à finir une page de ces carnets.

A Novossibirsk j’attends quelques minutes Lena qui a acheté les places pour l’Opéra. Je savoure cet instant. Etre seul, dans une ville juste pour le plaisir, sans programme imposé, c'est tellement bon.... Et je suis content de retrouver Lena.

Nous filons de la gare des bus vers le centre. Le temps de manger un chourma et nous voici dans le grand hall du plus grand Opéra de Russie.

Il y a plein de monde, il faut laisser ses bagages en consigne, puis aller aux verstiaires, puis retourner à la consigne car ils ne veulent même pas que j’emmène mon sac photo. Enfin nous entrons sous l’immense dôme, 60m de large, avec son superbe lustre au centre...

 

 

 

Wiki nous dit que le rapport diamètre épaisseur du dôme est plus faible que celui d’une coquille d’œuf ! La salle est comble, toutes les places sont prises. C’est-à-dire 1700 personnes ! 

Le spectacle commence. Faust de Gounod. Le texte en Français n’aide pas, c’est incompréhensible. Les Russes sont avantagés par le « sur »-titrage en haut de la scène.

Après quelques minutes, je suis subjugué, emporté. La mise en scène est délibérément moderne. Le choix des couleurs me fait penser à l’appartement de Katia à Saratov, et à son travail d’architecte en général : palette de noirs, de gris, de rouges et de blancs. Il faut croire que cette palette est très en vogue pour une génération d'architectes Russes et ils ont raison. Je suis fan. Un labyrinthe de gros tuyaux, ajustables de toutes les façons imaginables et inimaginables, sera l’élément scénique majeur. Et avec cette idée, le metteur en scène fera une vraie merveille !

 

    La scène et la fosse d'orchestre - Faust de Gounod - Opéra de Novossibirsk

 

 

Je le répète, j’ai été ébloui par ce spectacle. De la prestation de l’orchestre à celle des chanteurs, de la scénographie à la chorégraphie, des lumières à la gestion de l’espace sonore, tout a dépassé, pendant ces quatre heures de spectacles, les cent pour cent d’excellence ! Et quel monde sur scène ! J’ai compté parfois presque 100 adultes, une quinzaine d'enfants ; j'ai vu deux chevaux, une limousine (et sans faute de goût ! ce qui aurait pu être à craindre) ; j’ai vu des artifices scéniques, des idées à chaque fois enthousiasmants. Je n’ai jamais vu un tel spectacle en France. Que ce soit en vrai ou en film. Je prends la responsablilité de cette opinion. J’assume.

 

Il faut dire que la ville accueille un des trois conservatoires supérieurs de Russie. Les autres étant à Moscou et Saint Petersbourg. Les meilleurs musiciens de Russie y sont formés. C’est l’équivalent de l’Académie pour les tchèques et conservatoires supérieurs pour nous. Et le système scénique de l’Opéra, depuis sa restauration en 2005, est le plus moderne de Russie.

Résultat : j’ai passé quatre heures de pur bonheur.

 

 

 

Le Conservatoire supérieur de Novossibirsk

Pendant la seconde guerre mondiale, l'Opéra de Novossibirsk accueillit la collection de la Galerie de  Tretiakov, pour la protéger de l'invation allemande.  

 

Au début, je n’ai pas pu faire de photos parce que c’est interdit et que les gardiennes de notre rangée étaient à deux mètres de moi. C’est ainsi que j’ai raté la scène du marché qui était la plus fabuleuse de la pièce. Peu à peu j’ai enfreint la règle et, en douce, ai pu faire quelques clichés. Et nets en plus, ce qui n'a pas étét évident etant donné la distance entre  nous et la scène. Je pense que s’ils lisent ces pages, les responsables du Théâtre ne me porteront pas rancune de ces quelques photos volées…

 

 

C'est beau l'Enfer !

 


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Lundi 24 septembre 2012, dans le bus entre Novossibirsk et Barnaoul.

 

Lena est assise sur le banc, face à la fenêtre du bus où je suis… Ce sont les derniers instants de ce week-end passé  tous les deux…  Elle est là, elle me regarde… Je ne peux rien lire sur son visage… Très souvent rien n’est lisible sur son visage. Elle m’a d’ailleurs dit ce week-end « mon père me disait souvent que je ne devais pas montrer mes émotions » Pourtant elle est là et me regarde. Je lui fais un signe et elle me répond… Le bus démarre...

 

 

Nous sortons de Novossibirsk. Je remarque à un moment ce curieux chauffeur de bus, avec sa décoration très personnelle derrère son pare-brise : le macaron contre les fumeurs qui ne l’empêchera pas, caché derrière son rideau, de fumer la fenêtre entrouverte sans que personne ne s’en aperçoive ; une cocarde ; un badge imprimé d'un doigt d’honneur ; des smileys et ce magnifique tissus orné de motifs orientaux, à la dominante bleu ciel, et bordé de pompons roses ! Merveille !

 

 

Je pense à Léna… Hier je lui ai parlé d’un projet fou, celui de m’accompagner dans le test d’autonomie que j’ai proposé à Valery et Tatiana, et, via Valery et Tatiana, aux responsables de l’administration de l’Altaï. L’idée est de partir une semaine, au hasard, dans une région donnée, avec une voiture de location, et de trouver tout seuls comment se loger, quitte à le faire chez l’habitant. Une façon d’aborder le voyage autrement que tout défini à l'avance, sans laisser une seule chance au hasard. Avec un peu d’appréhension peut-être, Léna a accepté ! Qu’elle ait accepté ce défi est extrêmement intéressant, car elle sait qu’on va se retrouver dans le contexte d’un couple. Un couple qui voyage en Russie. Elle sait par ailleurs que je parlerai d’elle dans mes Carnets. C’est extrêmement courageux pour une femme qui, par ailleurs, pourrait sembler prudente …

 

Hier soir, pour la remercier pour son accueil (elle m’a quand même laissé son appartement pendant la nuit et est allée dormir chez sa voisine) je l’ai invitée au restaurant. Elle a choisi une pizzeria. Le choix au début n’était pas trop dans mon goût, et puis, au final, c’était très bien ! Un duo piano guitare jouait à côté de nous et, devant moi, Lena et son mystère m’envoûtaient.  J’ai pensé à ces peintures de Chagall où on voit un couple voler dans le ciel, et j’ai eu la conviction que Chagall avait voulu exprimer par là le bonheur d’être ensemble. Alors il me semblait que nous volions, Lena et moi, dans un ciel bleu roi, accompagnés par ces deux musiciens, cette petite serveuse qui ne manquait jamais de nous sourire quand elle passait à côté de nous, et l’agréable pénombre de la pièce…

 

J’étais à Novossibirsk, cette ville qui n’existait pas pour moi six mois plus tôt …. Et il y avait devant moi une jeune femme qui me troublait et qui semblait passer, elle aussi, un très beau moment… N’était-ce pas magique ? Mais je m’égare peut-être… après tout nous ne sommes que des amis ?… Eh quoi ! Une semaine d’exploration avec une amie avec qui je partage déjà tant de complicité !… C’est déjà très très bien !

 

Mais, peut-être… Et si le rêve était total ? Et si l’amour naissait dans cette résidence où seule ma tête est convoquée ??

 

Alors mon corps rejoindrait mon esprit, car un être qui voyage est un être entier, et il n’est pas question que je le scinde en deux…

 

Alors je vais continuer à rêver… Quoi qu’il arrive, ce sera toujours… un enchantement ! Et quelque soit cet enchantement, mes carnets le prendront en compte… Car c’est la vie qui compte, et il n’est pas d’art qui accepte de couper la vie en morceaux !

 

Le bus semble maintenant être arrivé à Barnaoul… Tiens ! Valery et Tatiana sont là à m’attendre ! Je n’ai pas vu le temps passer….

 

 


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Lundi 24 septembre 2012, ville de Biisk, hôtel central

 

C'était lundi matin, dans la grisaille de quelques brumes automnales. Valery et Tania sont venus me chercher à l'hôtel pour me conduire à la gare. Objectif : Biisk. C'est la direction sud, mais on aura l'occasion de reparler de la route qui y mène.

 

Ils m'ont trouvé un train spécial, le "Kalina Krasnaïa", "l'Obier rouge", en hommage à Choukchine, l'écrivain, réalisateur, acteur dont nous reparlerons aussi plus tard.

 

Ce train est un train moderne, avec des rangées de sièges genre tgv, un double écran pour les projections de films au centre du wagon et ? le Wifi !! 

C'est très bien, peut-être que les Russes aimeront ça. Mais il y a une grosse erreur pour le tourisme international. Car justement, si l'on s'occupe de Choukchine, on ne va pas faire un train comme ça. Lena m'a fait découvrir un film de Choukchine, "Petchki-lavotchki" ou bien "A Bâtons Rompus" (pour le voir, c'est ici. Il est en entier mais pas sous-titré...). Mais en tout cas on va se rendre compte qu'une grande partie se passe dans un train. C'est le transsibérien bien sûr, car ils vont s'arrêter à Moscou. Une idée que je trouverais pertinente -  je me permets d'émettre cette idée car je sais que mes partenaires attendent aussi cela de moi -, et ce serait la même chose pour le transsibérien. L'idée serait d'imaginer des trains modernes respectant le style ancien. Je veux dire : compartiments, mais décorés à peine plus folkloriquement, motifs anciens, couleurs, nappes, rideaux, tapis. Un petit écran pourrait être intégré dans chaque compartiment, mais je ne suis pas sûr que ce soit nécessaire : de plus en plus de gens ont des outils pour lire, écouter de la musique, regarder un film. Car moi, et tous les touristes étrangers, on en a rien à faire de la vidéo russe puisqu'on ne la comprend pas ! Alors pourquoi subir cette agression d'un film toujours trop fort quand on la subi sans comprendre ?

 

Mais l'idée du WIFI est parfaite car la majorité des gens ont maintenant un ordi ou une plaquette. Donc un beau train à l'ancienne, avec juste une décoration soignée et le WIFI. Et vous auriez le plus magnifique et plus touristique des trains !

 

 

Ceci dit, je dois dire que les provodnize (gardiens de wagons) ont été délicieux avec moi. On m'a d'abord apporté le DVD du film "L'Obier Rouge", et on a tout fait pour trouver une solution pour brancher mon ordinateur de bureau, portable certes, mais sans autonomie de batterie. J'ai pu ainsi regarder en toute quiétude ce film dont j'avais lu en France la nouvelle d'où il a été tiré. Et c'est un très beau film, pas aussi léché que les films de Tarkovski, pour ce qui est des mouvements de caméra (il y a des zooms vraiment pas beaux), mais très frais et très autentique par rapport aux acteurs-personnages (car ce sont les habitants de son village qui apparaissent dans le film, en tout cas dans la première partie). Choukchine a le premier rôle et il est très convainquant !

 

Mais on y reviendra car une visite du village de Choukchine est prévue...

 

En tout cas me voici arrivé à Biisk, et comme d'habitude je suis attendu sur le quai de la gare... Il y a Roslan, le responsable du tourisme pour le district de Biisk et Alexandre, interprète et professeur d'anglais et de Français à la faculté pédagogique. Je ne risque pas de me sentir seul ici et du coup, lorsque ça m'arrive, comme maintenant, dans ma chambre d'hôtel, j'apprécie cette intimité avec l'instant présent...

 

On me conduit donc à l'hôtel Central car, si j'y suis maintenant, je n'y étais pas encore (on ne va pas revenir sur ce temps double du vécu et de l'écriture, mais on peut s'en amuser !). J'y trouve (en plus il écrit son récit en temps du discours, ce qui fait qu'il mélange les temporalités, le bougre !) tout ce dont j'ai besoin : lit, salle de bain, WC, bureau, siège et wifi ! Le lit n'a qu'une seule place mais qu'ai-je besoin de plus ? En tout cas j'aime cette décoration de roses et cette large fenêtre sur quelques immeubles, quelques arbres, et un tram jaune qui passe quand il veut pour faire sourire un peu les tours grises.

 

 

On me laisse une heure de repos, que j'apprécie, puis le repas, et nous voici partis au Musée de la Ville. Là je vais voir une variante du Musée de Barnaoul mais avec des éléments plus pointus. Je dirais qu'on pourrait tout aussi bien visiter ce Musée ou celui de Barnaoul. Ils se valent car les atouts de l'un compensent ses manques par rapport à l'autre. Celui de Barnaoul est juste un peu plus ancien. Mais je pense que celui de Barnaoul est plus varié, et, si vous le complétez avec le Musée National, toujours de Barnaoul, vous aurez l'ensemble des aspects importants de la région. L'atout, cependant du Musée de Biisk c'est qu'il comprend davantage d'originaux et qu'il a une partie ethnique plus détaillée...

 

Donc je dirais qu'il faut faire le choix, pour le Musée de Barnaoul ou pour celui de Biisk. Dans les deux Musées vous serez reçus par des guides de qualité et sympathiques. Le Conseiller scientifique du Musée de Biisk, qui sera notre guide, parle Français et peu dispenser de la présence d'un interprète. Donc choisissez l'un ou l'autre comme ça vous arrange mais surtout ne manquez pas de voir l'un des deux !

 

Sauf que pour moi il était essentiel d'aller voir les deux parce que :

1) Je me passionne pour la Préhistoire et le début de l'Histoire de cette région

2) J'ai compris à Biisk plein de choses que la visite à Barnaoul avait laissées dans le flou.

 

Le Musée de Biisk. Une restauration et la maison serait magnifique ! - Dans quatre ans ! Me dit Roslan.

Donc, entrons dans l'édifice. Tout demande rénovation, et tout le mériterait. Le corridor par lequel on entre par exemple. Il paraît si tristement défraîchi... Mais, lorsque vous êtes dans les salles, ça va. Dimitri Yeroshkin va nous faire la visite avec son français correct, sauf pour l'accent qui sent l'absence de confrontation à la population française. Mais il a son vocabulaire et connait bien son sujet ! 

 

Petite introduction sur la Ville : Elle a été fondée par Pierre le Grand au XVIIème siècle et elle est rapidement devenue une ville de riches marchands, étant située sur l'axe qui mène à la Mongolie, à la chine et même, à l'Inde ! Le Musée date de 1920, fondé au début de l'ère Soviétique. Vu l'aspect de la maison, vous avez deviné que le Musée a été installé dans une maison réquisitionnée après la révolution. Elle appartenait à un riche marchand, Nicolas Assanov, qui, je l'apprendrai plus tard, faisait le commerce de petits chevaux sauvages, les Przewalsky. Des petits chevaux qui vivaient en Mongolie à l'état sauvage. On me fera remarquer d'ailleurs que si ce petit cheval existe encore, c'est grâce au commerce qu'en a fait Assanov. Car il a complétement disparu dans la nature et ceux qui restent viennent des ventes qu'en a faites Assanov.... On pourrait se demander qui a tué de la poule ou de l'œuf... mais passons....

 

Mais revenons au Musée. Comme la Ville est proche de la Frontière avec la République d'Altaï où ont été trouvés l'essentiel des trésors archéologiques, cela lui a permis d'être au plus près des fouilles qui y ont été faites, celles, fondamentales de Pazyryk, et celles du tumulus de la princesse d'Oukok, dont on a déjà parlé. De ce fait, le Musée aura quelques beaux originaux, notamment une partie de sarcophage Scythe (qui était réalisé dans un seul tronc d'arbre).

 

Je précise quand même pour les parachutistes de l'internet que cette page sera difficile à suivre si vous n'avez pas lu celle consacrée au Musée de Barnaoul. Donc n'hésitez pas à cliquer sur le lien avant de revenir à cette page.

 

Une autre qualité du Musée de Biisk est d'avoir organisé ses murs d'exposition par période, en réunissant sur chacun de ses murs tout ce qu'ils avaient à présenter sur l'époque. Et notamment les pétroglyphes, dont le bas plafond de Barnaoul ne permettait pas d'inclure à la présentation des objets. Cela m'a permis de comprendre que ces pétroglyphes (gravures sur pierres) étaient une tradition ininterrompue dans la région, de l'ère néolithique (âge de pierre) au moyen âge ! Et à les regarder ainsi il devient très rapide de pouvoir les identifier !

 

En voici donc un petit exposé :

 

Au néolithique, ce sont des oeuvres d'animaux, non stylisés, souvent gravés, et exceptionnellement peints (car il faut des qualités exceptionnelles de conservation pour que les peintures se conservent). On a en effet trouvé un cheval peint qui ressemble étonnamment à un cheval de Lascaux. Pour les gravures, l'une d'elle est très mystérieuse et laisserait imaginer que les hommes de l'âge de pierre avaient rencontrés des extraterrestres ! Les rationalistes disent qu'il s'agirait de visions d'un Shaman qui aurait abusé d'herbes aromatiques !

 

Après le Néolithique viendra l’âgé de bronze. C’est la période où ont vécu les Scythes. Je vais apprendre d’ailleurs pourquoi nous les appelons les Scythes et les Russes les Skifs. En fait les deux mots viennent de l’évolution russe et latine du même mot grec. Car les historiens grecs avaient bien connu les Scythes, dont l’Empire fut, vers le IV siècle avant JC, extrêmement étendu.

 Les Scythes aimaient la stylisation, et c’est pour cela que je les aime tant. Ils avaient un art du trait, et tout leur héritage est graphique. Pas d’écriture. On remarque donc immédiatement la marque des pétroglyphes scythes : les cornes des cerfs ou des élans sont très stylisées, penchées comme des ailes vers l’arrière, et quelque part se cachera presque toujours un griffon. Car les scythes ont inventé le griffon et l’aimaient infiniment…

 

Enfin, vers l’âge du fer arrivent les Türks. Ils changent de technique de gravure de la pierre. On se rapproche d’une sorte de dessin par traits. Et les Türks vont inventer une nouvelle pratique, celle de laisser une pierre tombale à l’image du vaillant guerrier qui reposera à ses pieds…  Ces pierres tombales longeront la Schouisty trak dont on va bientôt parler !

 

 

Pendant cette visite avec Dimitri et mon sympathique interprète, Alexandre, je vais faire une autre découverte philologique. J’ai déjà parlé des Gounis, qui ont fait suite à la civilisation des Türks. Eh bien Alexandre va me démontrer que le « G » de Gounis vient de l’évolution d’une lettre grecque qui, dans la langue latine allait se décliner en « H », dans la langue russe en "G" Or, quand j’ai vu Alexandre écrire "Gunis", comme l’écrivent les Russes, j’ai reconnu une civilisation dont on m’avait bien sûr parlé dans mes cours d’histoire : les fameux Huns ! Damnation ! C’étaient donc eux qui sont venus détruire les plus belles réalisations romaines et ont contribué à la chute de l'empire romain !

 

C’était donc les Huns ces fiers chevaliers, couverts, de la tête au bas du ventre de leur monture, d’armures rutilantes, et utilisant des arcs extrêmement perfectionnés qui savaient faire mouche plus loin que n’importe quel autre !

   

Enfin, le Musée comporte une intéressante collection sur les Altaïens, les peuples autochtones. On y voit un véritable costume et un grand nombre de tambours de Shamans, tous percés, ce qui signifie que leur propriétaire était décédé. Car il faut percer le tambour d’un Shaman à sa mort pour en défaire le pouvoir qui pourrait être néfaste.

 

On trouvera aussi un véritable alambic à Arika, l’alcool réalisé avec du lait fermenté de jument. Cet alcool a vraiment un rôle  important dans la vie sociale des peuples nomades, qu’ils soient Altaïens, Mongols ou Touva. Dans une vitrine, à côté, on trouve une déclinaison de toutes les formes de gourdes utilisées pour stocker ou transporter l’Arika.

 

L'alambic à Arika                                                                               Détail d'un tambour de Shaman : on dirait du Chaghall....

 

Entre deux étages, la visite changea de sujet. Dimitri me fit voir différentes maquettes des premiers forts installés par les Russes à la confluence de la Katoun et de la Biia, lesquelles vont former l’Ob, dont le bassin est le plus grand de Sibérie, et le cinquième bassin du monde ! Bref, la situation était stratégique : Biisk est située sur la seule route qui permet d’aller en Mongolie et en Chine, et, d’autre part, à la croisée de trois autoroutes, car, en hiver, les rivières sont gelées et, à cheval, on y trotte sans souci avec chars et traîneaux !

 

 

Le fort de Biisk a été plusieurs fois brûlé par les Djungari qui étaient aussi bien équipés que les Russes en flèches incendiaires, mais aussi en fusils que, paraît-il, leur livraient… les Suisses !

 

Nous arrivons dans la salle reconstituée d’un marchand du XIXème siècle. Là on va vous faire vivre la cérémonie du Thé de ces riches marchands. Autour de vous un mobilier très bourgeois, et même un super Apollon qui aurait ravi Dominique Fernandez si, en 2010, il avait quitté le Transsibérien et ses écrivains pour venir jusque là.

 

  Non, je n'ai oublié mon carnet de notes sur la table... C'est impossible. Je l'ai juste posé pour boire le thé et manger les Souchki, ces petits gâteaux ronds,

  ou les Baranki, les mêmes mais en plus gros.

 

La visite du Musée se terminera dans cette salle, on voit sur les murs tout autour, le charme de cette petite ville d'Asie, sur la route nord de la soie, du thé, du sucre, de la porcelaine chinoise, des fourrures, des objets en métaux, en or... Et il est manifeste ici, que cette tendance soviétique à rejeter la beauté parce que, soit-disant, elle était "bourgeoise", a dévasté le paysage urbain de cette jolie petite ville de Sibérie, en y plantant, sans aucun souci d'ensemble, des tours absolument immondes... C'est vraiment dommage car je pense que le confort de l'oeil n'est pas qu'une démonstration d'un pouvoir de classe, c'est aussi une notion qui va influer directement sur l'image que les hommes se font d'eux-mêmes... J'espère qu'un jour on décidera de détruire toutes ces horreurs rectilignes, au moins au centre, qu'on rénovera ou qu'on laissera rénover par des privés ces beaux batiments aujourd'hui dans un piètre état, qu'on plantera de larges trottoirs, des pelouses, des massifs de fleurs, et qu'on redonne aux habitants la joie de se promener dans cette ville qui pourrait être si belle, si peu qu'on lui rende un ordre, et des motifs de venir s'y promener....  

 

 


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Mercredi 26 septembre 2012, Biisk

 

Je l'ai appris la semaine dernière d'un message de Lena : "J'ai vu à la télévision que la Princesse d'Oukok est partie en Hélicoptère à Gorno Altaïsk" !

Mon Dieu, c'est fait !!!!

 

C'est étrange comme parfois la vie nous fait des petits cadeaux... Le premier cadeau m'a été fait par une amie, Elvyre, qui, un jour, m'a conseillé de lire un livre qu'elle avait trouvé sur le net : "En Sibérie" de Colin Thubron. Je l'ai bien sûr acheté et je me suis mis à le lire  quelques jours avant le voyage et le poursuivant en route.

 

C'est dans ce livre que j'ai appris l'existence de cette "Princesse des glaces", que tout le monde ici appelle la "Princesse d'Oukok" puisque c'est à Kok (ou « Ukok », il y a des variantes) qu'elle a été trouvée. Et non pas à Pazyryk, où des tumulus et des tombes similaires avaient été trouvées antérieurement. Le même phénomène qu'à Pazyryk s'est produit : l'eau s'est infiltrée dans le tombeau et a gelé sans plus jamais fondre, permettant une conservation exceptionnelle. On a trouvé son corps momifié, des restes de nourriture, les chevaux qu'on entreposait de l'autre côté de la paroi en bois du tombeau. J'ai déjà parlé de tout cela.

 

Colin Thubron est donc allé voir la Momie tatouée, au Musée de Novossibirsk, où elle a été conduite après son excavation en 1993. Elle y a été restaurée, en tout cas certains tissus qu’elle portait, et a subi un traitement qui en permettrait la conservation à température ambiante. Interviewant la directrice du Musée, l’écrivain apprend, et c’est avant 2000 puisque la première édition de son livre date de 1999, que le Musée de Gorno Altaïsk, la capitale de la République d’Altaï, demandait à ce que leur ancêtre rentre au pays. Colin Thubron ira ensuite au Musée de Gorno Altaïsk qu'il décrit comme un petit Musée très peu fourni.

 

Lorsque je suis arrivé à Barnaoul j’ai parlé de la princesse des glaces et on m’a dit qu’il était prévu qu’elle arrive à Gorno Altaïsk d’un jour à l’autre. Alors, dès le début de mon séjour j’avais demandé d’être là quand elle arriverait.

 

J’apprends donc qu'au moment où j’allais en bus à Novossibirsk la Princesse avait pris l’hélicoptère pour Gorno Altaïsk ! Et puis, lundi,  Valery me dit qu’une visite à Gorno Altaïsk est prévue pour moi mercredi ! Là dessus, problème de langue faisant, on ne me donne pas plus d’information…

 

Lorsque j’ai parlé à Lena de la princesse elle m’a dit : « Tu dois savoir qu’elle est horrible, je ne l’aime pas du tout ». Je lui ai donc répondu, quitte à provoquer une rancune féminine : « Moi je l’adore ! » Ensuite Lena m’a expliqué qu’elle ne trouvait pas décent qu’on expose ainsi le cadavre d’une femme. En réfléchissant j’ai reconnu qu’elle avait peut-être raison…

 

Ah, je dois aussi attirer l’attention sur un point : celui d’une sorte de rivalité qu’il y a entre les russes et les nomades mongoloïdes pour savoir de quel type était ce peuple si raffiné qui aurait peut-être permis de répandre en Europe la langue Indo-européenne. Colin Thubrau écrit, après avoir vu la princesse, qu’elle a un type mongoloïde. Je ne vois vraiment pas comment, en regardant un crâne, il a pu constater une chose pareille. Je me garderais bien de prendre part à ce débat. Pour tout dire,  je m’en fous si elle était mongoloïde ou du même type que moi. Ca ne m’empêchera pas de l’aimer….

 

Alors, rendez-vous ce matin à 8 heures devant l’hôtel. Je ne sais même pas avec qui je vais prendre la Chouisky Trakt (explication dans la page suivante). Alexandre est là qui m’attend devant l’hôtel, avec son regard de feu et ses mains légères comme le vent, qui parfois tremblent lorsque le chavire une émotion. On doit attendre Roslan qui va nous mener au bus. Ah ? Un bus ? C’est souvent comme ça que j’apprends les choses, par petits fragments. Mais je crois que ça vient des difficultés qu’ont les gens de me traduire les choses, ou d’oublier de me les traduire ! Roslan finit par arriver et nous dépose devant le Musée où un vieux bus russe, à faire craquer les enfants devant sa miniature, nous attend. A l’intérieur, le personnel du Musée : nous partons donc en voyage organisé par et pour les gens du Musée. Ah ! Très bien ! Je me retrouve donc sur le siège arrière, entre Dimitri et Alexandre.

 

Et c’est parti pour la Chouisky Trakt ! La route millénaire qui mène en Mongolie et puis… en Chine…. Au Tibet…. En Inde….. 

Le soleil est au rendez-vous, les montagnes s’élèvent autour de nous, et bientôt, sur notre droite, coulera l’opaline Katoun, qui veut dire « Femme » en Altaïen….

 

Après une bonne demie heure de route nous passons devant la colonne indiquant la frontière entre le Kraï d’Altaï et la République d’Altaï. Dimitri me raconte des choses dans le bruit du bus, interrompu parfois par un sursaut. La route n’est pas mauvaise pour une route russe, mais ce n’est pas non plus une route suisse ! Deux heures et demies plus tard, on m’annonce que nous arrivons à Gorno Altaïsk…

 

Et là je m’aperçois que nous ne sommes pas en un jour comme un autre ! On a installé une énorme sono devant le Musée, et un orchestre traditionnel répète la balance tandis qu’un Altaïen chante avec sa voix gutturale dont s’échappe plusieurs harmoniques comme des secondes et peut-être troisièmes voix… Sur la rue, devant le Musée, un groupe d’enfants, les futur(e)s majoret(te)s font leurs essais, dirigés énergiquement par leur metteur en scène/professeur. Je remarque que beaucoup de gens ont ce fameux type Mongoloïde, les enfants, les musiciens, mais qu’ils semblent mélangés naturellement avec des visages européens. Enfin je me retourne et regarde le Musée. Ce n’est pas un de ces vieux bâtiments tristement en attente de restauration que j’ai vus jusqu’alors. Celui là est flambant neuf ! Avec marbres et cuivres, avec inox rutilants et lignes conçues par un architecte qui semble avoir travaillé brides sur cou ! Cela ne ressemble en rien à la description qu’en faisait Colin Thubron il y a 14 années ! 

 

 

Nous attendons sur le parvis. On m’explique que je fais partie de la délégation du Musée de Biisk et qu’il ne faut pas que je m’éloigne du groupe. Et puis peu à peu on se déplace vers un parvis, à la droite de l’entrée, où je vais vite m’apercevoir qu’il est le lieu VIP de la manifestation. Par groupes les gens arrivent. Les petites grappes de personnes présentes à notre arrivée s’agglutinent peu à peu en foule. Et puis, soudain, c’est une arrivée massive d’enfants, par files indiennes en rang par deux qui déferlent de tous les côtés ! De très jeunes soldats, d’une douzaine d’année, se tiennent parmi les spectateurs, et notamment dans l’espace VIP où ils font un peu figure de décoration, démontrant la beauté de ces Altaïens d’origine. J’en photographie quelques uns. Ils évitent de me regarder, fiers comme de petits paons, mais au fond d’eux-mêmes un peu embarrassés d’être là, et se demandant qu’est-ce que je leur veux avec mon appareil braqué sur eux. Une femme me demande de quel organe de presse je suis. Je réponds que je ne suis pas journaliste mais un écrivain indépendant en Résidence au Kraï d’Altaï. Avec la foule, les VIPs aussi sont en train d’arriver. Et évidemment beaucoup d’Altaïens en costumes traditionnels, des jeunes, des vieux… Oui, et quels vieux ! Oh mon Dieu comme ils sont beaux et comment leurs costumes éclatent sous le soleil de septembre ! Car il fait chaud ! Mon blouson me pèse ! Mais si je l’enlève qu’est-ce que j’en ferai ? 

 

La cérémonie va commencer. Avec toutes les explications qu’on m’a données (sic), il faudra attendre au moins deux heures pour que je comprenne que cette inauguration n’est pas celle de la venue de la princesse, mais celle du Musée lui-même ! Si l’on m’avait expliqué cela plus tôt, j’aurais compris pourquoi toutes les cinq minutes j’entendais en mots, en chansons, le mot « Gazprom » ! Car on m’expliquera plus tard que la société de gaz de Russie a largement contribué à la rénovation, ou même disons-le carrément, à la reconstruction du Musée ! Donc j’ai entendu Gazprom avec l’accent russe, avec l’accent altaïen, et même avec une tentative d’accent français quand on a voulu me traduire Gazprom en Gazprom !

 

Les discours ont commencé. Je commence à en connaître le schéma, d’abord le Gouverneur de la Région (je redis que République n’est qu’une particularité de Région dans la fédération de Russie) puis celui du Directeur du Musée, qui m’a salué très gentiment d’ailleurs, bien avant que la cérémonie ne soit ouverte, puis celui du Directeur de ?? de Gazprom bien sûr ! Et puis les vice gouverneurs et les directeurs d’autres Musées, - et j'ai certainement raté quelques détails...

 

Pendant ces discours que je ne comprends pas, bien sûr, je fais quelques photos. Je voudrais me constituer une collection de ces beaux visages que je ne connaissais pas… Ben oui, vous en croisez beaucoup des Altaïens, et même des Mongols en France ? Alors j’ai photographié de très vieux couples, dont j’aurais bien fait mes nouveaux grands-parents maintenant que les miens ne sont plus de ce monde… Et puis j’ai vu le représentant des bouddhistes en République d’Altaï, et le représentant de la communauté musulmane, car c’est la religion des Kazakhs, qui vivent aussi sur ces montagnes… Tous avaient des visages Mongoloïdes. Sauf le représentant de la religion orthodoxe qui lui, avait un visage de Pope qui semblait être sorti d’« Andreï Roublev », le film de Tarkovski sur la fin du moyen âge !  

 

            






 

Plusieurs musiques avaient l’air d’être magnifiques, et même celle de la chanson intitulée « Gazprom » et chantée par le Kaï-Tchi altaïen. Mais la sono nous renvoyait mal la musique, comme si l’ingénieur du son avait balancé tous les discours de notre côté. Alors je n’ai pas pu profiter des qualités de cet orchestre mi russe mi altaïen.  

 

  Chef Ethnique et Chef Gazprom

 

En revanche, j’étais aux premières loges pour filmer la bénédiction qu’un Chaman est venue faire de l’édifice hautement symbolique pour leur culture. Je trouverai plus tard sur les marches de marbre les traces du lait, probablement de jument, qu’il enverra de sa louche en bois. Cette procession sera suivie d’une étrange chorégraphie, qui fut très grave à certains moments, illustrant probablement la lutte qu’a mené le peuple des Altaïens pour conserver leur identité. Ceux qui empêchent les jeunes Altaïens d’avancer sont-ils ces Djoungary dont on a déjà beaucoup parlé ?

 

 

Les cadeaux ont donc été peu à peu distribués, les récompenses. J’ai vu la directrice du Musée de Biisk remettre au Directeur de celui de Gorno Altaïsk une copie de pétroglyphe comme ils savent si bien les faire. Et puis je me suis mis à regarder, fasciné, le visage de cette jeune femme qui tenait le bandeau qu’on allait bientôt couper pour l'ouverture du Musée. Je me dis que, peut-être, la Princesse des Glaces avait cette beauté ? Mais elle pourrait tout aussi bien avoir celle de tant de ces filles russes que j’ai déjà croisées ici… Et puis je me suis dit qu’en fait, si les filles russes d’aujourd’hui étaient si jolies, c’est peut-être grâce à ce mélange des sangs qui perpétuellement a eu lieu dans cette partie du monde, - qu’en fait la beauté vient du mélange et non des sangs purs….

 

Mais cette Altaïenne, quand même, était si belle…

 

  

Enfin le Musée fut ouvert. A l’intérieur, des salles somptueuses, larges, lumineuses… On nous impose un sens de visite, et je retrouve tout ce que j’avais déjà vu dans ces petits musées pourtant beaucoup moins fastueux. Mais il y a, ici, quelque chose que les autres n’ont pas :  la Princesse… 

 

Je vois de nombreuses maquettes grandeur nature ; les aïls des peuples d’Altaï, yourtes en bois ; les premières isbas des arrivants russes. Je vois une grande tente pointue en écorce de bouleau, je vois des Shamans, je vois des Altaïens dans leurs costumes traditionnels, je regarde leurs bottes et leur envie ; je vois un Huns (ou deux) en pieds sur son cheval, tout cela grandeur nature. J’ai vu tant de choses que les enfants, les adultes, les vieillards adoreront regarder. Mais je me demande s’ils entreront dans les détails et s’ils auront le temps, comme je l’ai fait, d’écouter un guide attentif à mes questions et répondant patiemment. Je me suis dit que ce Musée réjouirait les familles et que, l’été, il serait plein de monde comme les Musées de Carnac ou de Vannes. Et que c’est peut-être bien, pour peu qu’ils prennent le temps de découvrir l’importance de ce lieu, je veux dire, de cette formidable préhistoire de la région d’Altaï…

 

Nous sommes arrivés dans une salle avec, devant nous, une sorte de dôme en verre. Je me penche pour voir et je reconnais la chambre mortuaire de la Princesse. Mais celle-là semble avoir été immortalisée au moment où on a posé la princesse dans son sarcophage de bois. Je vois sa robe rouge et son corsage blanc, je vois son long chapeau pointu, rouge et orné de motifs en or. J’y reconnais des oiseaux, des chevaux, des sortes de feuilles, l’or éclatant sur le tissus rouge. Je vois des élans aux cornes follement stylisées sur le flanc du sarcophage. Je vois, au sol, les deux jarres de lait ; je vois la viande posée sur des plateaux en bois. Je vois un serviteur debout devant Sa dépouille momifiée, comme si c’était lui qui avait apporté le repas éternel de la Princesse… Oui, c’est très beau… Mais la vraie, celle venue de Novossibirsk, où est-elle ? Plus loin une autre scythe, peut-être la princesse lorsqu’elle était vivante. J’admire l’élégance de son costume. Mon Dieu quel goût formidable avaient ces scythes ! Oui, oui, je sais bien, le portrait de Néfertiti, son long cou sublime… D’accord, mais regardez ces motifs à la fois pleins de réalité et de fantaisie, regardez l’élégance de ces coiffes ! Quel style !

 

 

La Princesse des glaces (reconstitution)                                                                 Et sa gardienne (authentique !)

 

Et soudain, à droite, on ouvre un rideau… Et là un grand mystère : derrière une vitre, une sorte de cuve fermée d’un couvercle circulaire recouvert d’un tissus marron… Alexandre me dit : « La princesse est là, derrière ! Mais le shaman a dit qu’il ne fallait pas la regarder avant un moment car l’énergie serait très mauvaise ! » C’est que les peuples d’Altaï ne rigolent pas avec leurs ancêtres, comme tous les peuples animistes, comme tous les peuples shamanistes. En 2005 il y a eu un très gros tremblement de terre en Altaï dont l’épicentre était près d'OuKok. 8,7, je crois, la force. Les Altaïens ont alors manifesté pour dire que c’était parce qu’on avait déplacé la princesse à Novossibirsk. On m’a parlé aussi des membres d’une famille qui, après un contact avec la momie, sont tombés tous malades en même temps… Bref, si le shaman a dit qu’on ne devait pas regarder la Momie, le directeur du Musée n’allait pas outrepasser cet avertissement ! 

 

J’ai alors pensé à Lena. Et je me suis dit que, finalement, je préférais m’approcher de la princesse de cette façon. La sentir là, sans la voir… Surtout que, lorsque j’ai levé les yeux, je me suis aperçu qu’ils avaient fait figurer, au dessus du sarcophage, en larges traits métalliques, le tatouage que j’ai décidé de me faire tatouer sur le bras ! (cf visite du Musée de Barnaoul) Alors là, plutôt que de me dire que j’avais les mêmes goûts que le commissaire du Musée, j’ai pensé que, dans cette histoire, il y avait quand même beaucoup de coïncidences ! Alors, moi qui suis pourtant un matérialiste bien arrêté, j’ai fait un vœu….

 

 

Les membres de la délégation « Musée de Biisk » sont venus me chercher. On allait être reçus par le Directeur du Musée. Après un petit tâtonnement quand au couloir à emprunter, un retour, un grand détour, nous fûmes dans un bureau typique de Directeur, avec le bureau du Chef et, perpendiculairement, une longue table pour les visiteurs. Sauf que nous étions trop pour cette table là. Alors j’ai vu ce grand altaïen, au parlé haut placé et sympathique, enlever par grands gestes tout ce qu’il y avait sur son bureau et commencer à le mettre en ligne avec la table des invités. On l’aida bien sûr car le bureau était trop lourd pour un seul homme. Et je le voyais plaisanter, faisant rire tous ceux qui le comprenaient, hélas pas moi, avec des commentaires sur la situation. On avait l’impression qu’on était entré chez lui et non dans un bureau de Directeur. Et je me suis dit que jamais un Russe à responsabilités n’aurait accueilli des étrangers avec autant de légèreté. On reconnaissait chez lui toutes les pratiques d’un peuple simple, dont l’hospitalité était un principe quotidien.  

 

 

Après ce petit théâtre de la mise en place des tables, puis des chaises, mes yeux tombèrent sur les mets qu’on avait apportés. Et j’y reconnus quelques uns dont j’avais appris l’existence dans les livres de Galsan Tschinag, un Touva d’Altaï devenu écrivain et professeur en Allemagne. J’ai vu les gros morceaux de mouton bouilli, les abats, les étranges saucissons, les fromages fumés. Je vais le bouillon du mouton bouilli qu'on nous apporta ensuite, et soudain, on me demanda si je voulais boire de l’Arika ! Mon Dieu ! Vraiment ? Mais oui ! On remplissait déjà mon verre d’un liquide transparent comme de la Vodka… J’étais tout à coup transporté dans l’univers de ces livres que j’avais lus, pas encore dans une Yourte, certes, à partager ces mets avec une famille d’éleveurs nomades, mais quand même ! On apporta plus tard du Koumis, c’est du lait fermenté de jument. Mais là, mon goût pourtant pas conformiste a dit "non" : ce mélange de gout de lait rance avec l’amertume de la bière, c’était trop d’étrangeté pour moi. Je n’arrivai pas à en boire plus de trois gorgées... Alors je glissai ma tasse vers mon voisin.

 

Je suis retourné, avant le départ, saluer la princesse invisible. J'ai regardé encore une fois cette magnifique simulation des premières heures de son repos éternel, pour l’instant de 25 siècles, et nous nous sommes tous dirigés vers notre bus. 

 

Encore un peu d’attente derrière le Musée. Une femme assez dynamique était là et plaisantait avec la Directrice et l’ancien Directeur du Musée de Biisk. Quand nous sommes partis j’ai demandé qui était cette femme. Dimitri m’a dit : « C’est l’ancienne Directrice du Musée. Maintenant elle est vice Directrice. – Quoi ? Ai-je répondu, mais je vous avais dit que je souhaitais lui parler ! » Et je me suis aperçu qu’ils ne m’avaient pas compris, ni Dimitri, ni Alexandre. Quel dommage, j’aurais voulu lui parler de cet écrivain anglais qui était venu lui demander ce qu’elle pensait de la princesse, et notamment, de quel type elle pensait qu’elle était : européen ou mongoloïde… D’ailleurs j’ai remarqué que le visage de la reconstitution de la tombe était très ambiguë…. On pouvait vraiment se demander, en regardant les traits de son visage, si elle était de type européen ou mongoloïde… Je pense qu’on avait demandé à l’artiste qui avait sculpté ce visage de rester dans le flou, les yeux un peu tirés, mais pas trop…. Au cas où….  

 

Dans le bus, au retour, le ton des voix a monté ! La vodka, l’Arika, la vodka à nouveau avaient mis de la joie dans tous les coeurs ! Et les conversation allaient bon train. Notamment une voix grave tenait le haut du pavé sonore. Je m’endormis bercé par cette voix de baryton qui semblait animé d’un flux permanent. Au réveil Dimitri me dit « Je viens d’apprendre que Gazprom avait un projet de faire passer un énorme gazoduc en République d’Altaï et que, pendant les travaux, ils vont détruire une énorme quantité de sites archéologiques. C’est pourquoi il faut dire aux gens qu’ils ont encore cinq ans environ pour découvrir les pétroglyphes et beaucoup de Tumulus, car, après, il n’y aura plus rien… » Tiens, serait-il possible qu’un deal ait été traité : un Gazoduc contre un Musée ? Allez savoir…

 

On s’est ensuite arrêté à la frontière des deux régions, là où se trouve l’obélisque mentionnant d’un côté « Republica Altaï », de l’autre côté « Kraï Altaï ». Là, quelques personnes sont allées dans le magasin qui borde la route. Ils sont ressortis avec des bouteilles, vodka et jus, des saucisses du chasseur, du pain. Tout le monde s'est ensuite dirigé vers un petit kiosque, au bord de la Katoun. Sur un arbre, à côté, on avait noué plein de rubans. On m’expliqua que ce sont des sortes d’offrandes que l’on fait au Dieu de la rivière. La Katoun, la « femme ». Je lui aurais bien fait une offrande. Je lui dois tellement… Alors, quand un des joyeux drilles qui distillait en joie la vodka qu’il avait bu me dit « Alors Philippe, vous ne voulez pas aller vous baigner dans la Katoun ? » Je lui ai répondu « Si vous venez aussi, nous y allons ensemble. » En bon Russe il a relevé le défi et nous voilà partis, avec Alexandre amusé de se charger des photos, nous mettre en slip ! » 

 

 

 

Avec quelques efforts je lui offrirai donc mon corps, à cette Katoun, pour quelques (froids) instants… Je ne sais pas si cela lui aura fait quelque effet... Pas plus que je ne sais ce que j’ai pensé à ce moment là… Ou peut-être que j'ai envie de le garder pour moi ?

 

Au retour nous avons tous fini par chanter « Moroz »… 

J’étais bien avec ces gens… 

C’était une très belle journée….

 


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Jeudi 27 septembre 2012, Biisk. Hôtel Central

 

Pendant que je suis à Biisk, il me faut parler de cette route qui, depuis l’antiquité, a été un passage unique et fondamental entre l’Asie du nord et l’Asie du Sud. La Tchouisky Trakt. Tchouisky, selon les uns vient d’un mot Türk qui veut dire l’« eau », selon les autres cela vient de la Tchouï, le nom d’une rivière que la route longe, dans les plateaux de steppe près de la frontière Mongole.

J’ai dit « depuis l’antiquité », mais c’est encore plus loin encore que remonte ce passage, puisqu’on y trouve, en bordure, des pétroglyphe du Paléolithique, l’âge de pierre. Ce sont les scythes qui ont laissé sur ses abords des rennes aux cornes aériennes, et surtout les Turks et leurs descendants, les Huns, qui l’ont bordée de pierres tombales avec leurs visages à longues moustaches si caractéristiques !

La Tchouisty Trakt a été, bien entendu, un axe commercial liant la Chine à l’Arctique, et jusqu’à l’Inde. C’était un chemin très périlleux qui traversait les montagnes et qu’on ne pouvait emprunter qu’en chameau.

 

Néanmoins on a trouvé sur ses bords des chariots Chinois attestant que les commerçants pouvaient la parcourir avec ce moyen. Quand on regarde la carte on comprend comment : par les rivières bien entendu qui, gelées en hiver, représentaient un passage plus carossable.

 

 

 

Un Musée à Biisk lui est consacré, avec une équipe très sympathique, comme c’est souvent le cas dans ces petits Musées où la passion anime souvent leurs équipes ! Ce Musée nous fait comprendre à quel point un axe d’échange comme celui là a pu avoir d’importance, pourquoi différentes civilisations se sont battues pour en avoir le contrôle, les scythes, les Huns, les Djoungary et finalement les Russes.

 

 

 

 Pourquoi aussi la Russie soviétique avait fait de la ville de Biisk, qui est au début de la route, une zone secrète, interdite à tous les étrangers, où on fabriquait fusées, missiles, têtes de bombes atomiques et différentes armes de haute technologie. Car, quand on contrôle la Tchouisky Trakt, aucune intrusion dans cette zone n’est possible. Inversement, quand, dans les années 69 à 73, la Russie s’est trouvée dans une situation très tendue avec la Chine, c’est encore par la Tchouisty Trakt qu’elle envoya ses armées à la frontière de la région chinoise de Xinjiang, ce qui lui permettait, en cas de conflit ouvert, d’être très rapidement à Pékin.

 

Mais n'allons pas trop vite. N'oublions pas que nous sommes encore au moment où la route nord de la soie, comme on l'appelait aussi, n'était qu'une piste qu'il fallait parcourir en chameau ou à cheval et qu'on traversait les rivières par des bacs. Fin XIXème les marchands décident de financer la fabrication d'une route. En 1901 elle sera en service et, en 1911 la première automobile est arrivée à Biisk. Elle se trouve maintenant exposée à la sortie de la ville...

  

    

 

A gauche la première voiture à être entrée à Biisk. Plus loins on trouvera les vendeuses au bord des parking. Le premier pont à avoir été construit sur la Tchouisky Trakt s'appelle Tsaplin, du nom de son concepteur. Celui que j'ai photographié ne doit pas être tout jeune non plus... Et plus on s'avance vers le sud, et plus on trouve de ces surprises si pittoresques...

 

  

Quand vous entrerez dans le Musée on vous donnera un ruban pour que vous l’accrochiez à l’arbre comme on l’a vu de nombreuses fois au bord de la route, sur les rives de la Katoune. Ensuite, si vous avez de la chance, on vous préparera, pendant votre visite, une copie d’un pétroglyphe à base d’un tissus de mica !

                                        

 

 

Enfin, à la fin de votre visite, vous pourrez écouter cette très jolie chanson écrite par un camionneur de la Tchouisky Trakt, tombé amoureuse d’une très jolie camionneuse. C’était autobiographique, le chanteur camionneur épousa la belle camionneuse et, lorsqu’ils eurent des scènes de ménage un peu plus tard, il a pu lui dire, comme dans la chanson de Brassens : « Après tout ne te dois-je pas une chanson » !

 

 


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Vendredi 28 septembre 2012, Biÿsk

 

En quittant Biÿsk je m'aperçois que j'ai oublié de parler de cette école qui m'a accueilli si gentiment, et qui m'a même ému.

Je n'y ai vu que des femmes. C'est une école municipale d'art, où on y apprend la musique, la peinture, la céramique. Mais c'est aussi une école qui enseigne aux enfants, aux adolescents et même aux adultes, l'artisanat local. Les costumes traditionnels : comment tisser, comment broder ;  la pratique des formes, des couleurs, des motifs. 

 

   

 

Et aussi certains objets que vous pourrez acheter dans des boutiques de souvenirs, tels que des boites, des poupées en écorce de bouleau, des œufs de Pâques peints, des poupées de chiffon, des ocarini. Elles sont quatre professeurs pour ces matières de traditions manuelles. On a bien sûr bu le thé, mangé des gâteaux de toutes sortes certainement faits par les petites mains des environs.

   

 

 

Ensuite je leur ai demandé de me chanter des chansons et elles l'ont fait avec un charme !

Alors en échange je leur en ai chanté à mon tour. Et j'ai eu le plaisir, sur la dernière, d'être accompagné en deuxième voix par la charmante Tatiana...

 

 

  Ca c'était mon cadeau.... Un tee-shirt en pure laine....  Poupée d'écorce...........................................et oeufs de Pâques......

 

C'est certainement une histoire d'enfance mais je me sens bien parmi les femmes. Je retrouvais dans leurs activités appliquées, leur calme, leur concentration, celui de ma mère, de ma tante, de ma grand-mère. Cette période où les radios et les télévisions n'étaient pas allumées en permanence et où une sorte de calme poésie, mystérieuse, presque sensuelle, s'échappait du moindre son, une main qui frôle un tissus, un fer à repasser qui grince, des pas sur le plancher, ou tout simplement une voix qui fredonne, qui laisse échapper quelques mots dits pour soi-même... C'est cela que j'ai ressenti parmi ces femmes qui, l'une tissait des perles sur un mini métier, l'autre manipulait une feuille d'écorce, et une autre encore terminant notre visite en nous disant un poème... Ces choses si naturelles, si douces, si profondément authentiques et humaines que nous ne faisons plus....

 

Je suis avec Roslan, sa femme et son fils. Nous partons vers le sud. La voiture s'éloigne de Biÿsk, se faufilant pour pouvoir doubler les jeep et les camions. La route est bordée de ces maisons des quartiers "privés". C'est comme ça qu'on appelle ces quartiers de maisons en bois. Hier j'ai convaincu Roslan de m'accompagner dans un de ces quartiers à Biÿsk. Il était un peu surpris, comme tous ceux à qui j'ai demandé cela. C'est extrêmement curieux la gêne qu'inspire la visite de ces quartiers. On dirait vraiment que les Russes en ont honte ! Pourtant s'y promener est un vrai bonheur. Certes les rues ne sont pas goudronnées. Certes, quand il pleut, tout cela doit se transformer en boue. Mais hier la terre était sèche et il n'y avait pas de problème pour y marcher. Et pourtant je voyais Roslan regarder inquiet par terre, l'état de se chaussures, puis insister pour qu'on retourne à sa voiture, comme s'il était pris d'une insurmontable anxiété ! Et pourtant quel calme ! Pas toutes ces voitures qui rugissent au centre ville. Et des enfants qui jouent, et des femmes qui discutent tranquillement assises sur un muret. Et ces trams qui traversent le village toutes les cinq minutes, preuves que ces maisons n'ont rien de bidonvilles, ni de quelque zone urbaine isolée, berseau de la criminalité ! Je ne comprends pas. Et j'en viens même à me demander si ce rejet viscéral n'est pas un résidu d'un martelage idéologique qui aurait entaché ce secteur "privé" de tous les vices que ce mot pouvait inspirer pendant l'époque soviétique. Alors oui, certes, il semble qu'il n'y ait pas l'eau courante. Alors je demande : "donc il y a une mauvaise hygiène, les gens ne peuvent pas se laver ?" Et Roslan de répondre : "Mais non ! Toutes ces maisons ont un banya, pas de problème pour l'hygiène !" Ah, bon ? Alors où est le problème ?

 

      

 

   

 

 

 

   

 

Nous marchions tranquillement. J'aurais passé des heures dans ce quartier. Un rien et vous entrez en conversation avec les gens. Rien à voir avec les visages fermés qu'on croise en ville. Ici il semble qu'on connaît ses voisins et qu'il est naturel d'engager une conversation dans la rue. Et puis ces chats qui reposent tranquillement sur un rebord de fenêtre, ces enfants les bras chargés de deux chatons... Mais oui, la vie est ici ! Et quelle poésie, ces peintures vives, ces massifs de fleurs, ces inscriptions.... Faites venir les canalisations d'eau, arrangez  les rues, goudronnez-les, et vous verrez qu'en dix ans les vieilles maisons sont rénovées et les classes moyennes viendront ici construire des Izbas toutes neuves ! Mais, pour l'instant, l'eau est à aller chercher à la fontaine... Certes, c'est pas le plus commode...

 

 

Nous avons passé des moments très agréables avec Roslan. C'est un homme très humain, agréable. Avant hier il m'a emmené dans un restaurant, "Na Stalon meste". Style un peu folklorique, serveuses sympa. Après 20 minutes une jeunes femmes aux traits asiatiques (Altaïenne ?) s'est mise à chanter, en play back, sur une petite scène. C'était jeudi soir, le week-end s'annonçait. Trois femmes dînaient dans notre dos, quelques hommes sur une autre table, pas grand monde en fait. Et pourtant, peu à peu les voix s'élevaient, les bouches souriaient. Les Russes sont comme ça, ils ont leurs conventions. Dans les rues ils font la gueule. Quand la fête s'annonce ils se mettent à sourire et là il semble qu'ils sont prêts à tout pour que la fête ait vraiment lieu. J'aurais eu envie de rester, et j'ai senti que Roslan aussi. On aurait fait la connaissance de plein de gens, c'est sûr. Déjà des yeux nous invitaient à danser. Mais mes écritures attendaient alors il a fallu partir.

 

En rentrant Roslan m'a proposé un arrêt vers la statue de Pierre le Grand. Il tenait à ce que je fasse cette photo. Quand il l'a vue il m'a dit "Oh, comment j'aurais aimé faire la même, mais j'ai laissé mon appareil à la maison" ! Boh.... il aura bien le temps de la faire une autre fois !

 

 

 

Et puis, comme ça tenait tant à cœur à Russlan que je fasse des photographies des maisons de marchands qui, un jour, quand elles auront été rénovées, et lorsqu'on aura fait tomber un certain nombre de tours Krouchnéviennes, feront la fierté de la ville, eh bien, En voilà quelques unes ! 

 

Je me suis senti bien à Biÿsk et... Je me rends compte que j'ai déjà vécu la moitié de mon séjour en Russie.....

 

 

 

   

  

   

 

  Et puis, j'oubliais, la poésie d'un parc de manèges, fermé à la fin de l'été, ou les couples vont constuire leurs premiers projets à deux et les mariés se faire immortaliser par les photographes....

 

 

 

 

 

 

 


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Samedi 29 septembre 2012, Base de vacances de Tsarskaïa Okhota, Village de Barangol, République d’Altaï.

 

 

Après un voyage haut en couleurs avec Roslan et sa famille, j’ai rejoint Valery et Tania dans un autre village de vacances où, malheureusement sous un peu de pluie, avait lieu une fête villageoise. C’était dans un champ sur la rive gauche de la Katoun, frontière naturelle entre le Kraï et la République d’Altaï. Rive gauche c’est donc le Kraï d'Altaï. Et le 29 septembre, c’est la journée internationale du tourisme. C’est pourquoi l’agence du "chasseur" et leurs collègues avaient organisé trois manifestations qu’on allait visiter tour à tour.

 

La fête du village d’Aya, à côté du centre de vacances de Korona Altaï, était très prometteuse. Les vendeuses, des « Vava » comme on les appelle ici, avaient toutes un air à la fois rugueux et joyeux, de celles à qui on n’en raconte plus ! Mais dès qu’elles apprenaient que j’étais français, elles devenaient comme des jeunes filles et c’étaient rires et commentaires lancées par des voix sonores et fraîches. J’ai eu le droit à toutes les dégustations : des fromages, des infusions aux herbes d’Altaï, des brochettes de porc, de la soupe, des têtes de carpes, du semadon (alcool de prune fait maison) et même ces beranki que j’ai découverts au Musée de Biÿsk.

 

   

   

 

Mais il y avait aussi des groupes de musiques prometteurs. Comme celui de ces vieilles chanteuses, accompagnées d’un accordéoniste, qui ne manquaient pas de mordant, ni avoir leur langue dans leur poche. On aurait dit qu’elles interprétaient des chansons un peu caustiques, comme des chroniques rurales. 

 

 

Plus tard elles lisaient leurs paroles sur un papier griffonné à la sauvette, comme si c’était le dernier cru de leurs chroniques. Je sais qu’il y a un courant musical tchèque traditionnel de chansons de rues qu’on interprétait sur les marchés et qui pouvaient autant concerner des affaires de mœurs que de la contestation sociale. Je n’ai pas eu le temps de demander des détails, Andreï n’étant pas encore arrivé. Mais, bon sang, dommage que je sois resté si peu de temps car j’allais m’en faire des copines ! Sûr qu’elles m’auraient invité dans leur combi et qu’on aurait fait quelques toasts. Avec le Semadon qui monte très fort en grade, c’est sûr qu’on aurait fini par chanter très fort !

     

 

On m’a présenté aussi Galina, Présidente du département du tourisme pour la République d’Altaï. Quand je lui ai serré la main, elle a gardé longtemps ma main dans la sienne. D’habitude ces pratiques me gênent, j’ai envie de m’échapper, mais la main de Galina était si douce, et son attitude était si naturellement avenante… J’ai pensé à la chanson de Bernard Lavilliers sur Cesare Evora, - les Altaïennes ressembleraient-elles aux Cap-verdiennes ? 

 

« Mais d'où lui vient cette infinie douceur

Cette sensualité mélangée de pudeur

Ses belles mains quand elles se posent

Sur une épaule ou sur mon bras

Tout se métamorphose

On oublie la mort on s'en va »

 

Bernard Lavilliers

 

 

        

Il y avait de ça chez cette altaïenne dont j’apprendrai qu’elle allait s’occuper de me faire rencontrer le Shaman et le Kaï Tchi, pour peu que ce dernier réponde au téléphone… A suivre, donc…

 

Je serais bien resté encore quelques heures avec ces gens que je commençais déjà par ressentir comme un seul village (en fait plusieurs villages étaient représentés), étant donné que le bruit de la présence d’un Français en train d’écrire un livre sur l’Altaï avait couru. J’ai eu l’honneur de recevoir une demande d’une très jolie jeune femme qui voulait être photographiée avec moi ! C’était le monde à l’envers, car c’est moi qui aurais dû, normalement, souhaiter poser à côté de ses magnifiques yeux bleus !

 

   

 

Mais nous devons vite partir ! Valery est pressé. Et nous voici dans le parking en train d’échanger mes bagages de la voiture de Roslan à celle de Valery. Je salue chaleureusement Roslan et, après avoir retraversé le Pont de bois, nous voici à nouveau sur la Tchouisky Trakt.

 

   

Roslan, c'est celui qui rit derrière le Directeur de la culture du Kraï. Car vous avez peut-être reconnu Yuri Zakharov que j'étais heureux de revoir (cf article ici).

 

A ce propos, je pourrais en profiter pour remercier Yuri Zakharov,  qui est derrière chaque jour de ce voyage. Et, avec lui,  toute l'administration du Gouverneur de l'Altaï Kraï. 

 

La qualité de leur accueil est extraordinaire et leur ouverture d'esprit a répondu a mes attentes. Ceci pour répondre à l'article cité ci-dessus.

 

« Tasarskaïa Okhota » signifie « la chasse des tsars », et l’agence de Valery et Tania, « Okhota », "la chasse". Le lien est fait. « Tasarskaïa Okhota » est donc un centre de vacances qui appartient à l’agence de Valery et Tatiana. J’y retrouve Andreï et nous sommes soudain plongés dans l’univers d’une exposition de photographies sur le thème de l’Altaï. La pluie va et vient, - ça gâche un peu l’effet de cette exposition qui présente des photographies dans la cour d’entrée du centre, et dans les parties réservées aux activités.

 

   

 

Valery me demande de choisir ma photographie préférée. Je ferai donc un examen attentif de toutes ces photos, certaines de photographes jeunes, d'autres de plus expérimentés. Le problème, avec un tel thème, c’est qu’on dirait que toutes les photos ont été prises par le même photographe. L’exposition donne la part belle aux paysages d'Altaï, et qu’est-ce qui peut plus ressembler à un paysage qu’un autre paysage ? Je choisirai ma photographie : sur une montagne en altitude, un père tient la main de son fils. Derrière eux des chaînes de montagnes enneigées et, devant eux, une pyramide de pierres, ornée de rubans, et dominée par un pieu de bois. Il semble que le père ait emmené ici l’enfant pour lui faire partager sa croyance aux divinités de ce lieu et le rituel qui consiste à venir poser une pierre ou un ruban de tissus en offrande. Cette petite scène laissait imaginer toute une histoire. J'ai aimé l'attitude de ces personnages face à leur culture, mais aussi l’attention du photographe pour une culture qui n’est pas la sienne. Cet hommage à l’autre, cette ouverture, cette fenêtre ouverte sur la tolérance, voilà ce qui me plaisait dans cette photo. Quand j’ai fait part de mon choix à un photographe qui faisait partie de l’organisation, il me dit que le cadrage n’était pas bon car trop près du pied des personnages ; un bon cadrage aurait voulu qu’il y ait plus d’espace sous leurs pieds. Ce retour à une convention esthétique n’était pas pour me convaincre… Et puis, finalement, Valery ne m’a plu reparlé de ce choix que je devais faire. Est-ce qu’il a eu vent de mon choix et que finalement, il s’est dit qu’il ne valait mieux pas que je rende public mon avis ? Ou il a oublié tout simplement dans la suite des évènements...

 

Entre temps j’ai eu droit à une interview pour une radio et une télévision. Mais je suis un peu gêné car comment parler de ces photographies de paysages moi qui ai plutôt tendance à ne pas aimer les paysages ! J’aurais préféré ne rien avoir à dire en fait… Je pense que je n’étais pas l’homme de la situation…

 

Plus tard j’ai eu droit à une projection de photographies prises en Mongolie qui étaient superbes. Parce qu’il semblait que le photographe cherchait à exprimer quelque chose de ce pays. Avec ses objets, ses êtres… Et puis, de jeunes photographes de 17 ans m’ont montré un ensemble de portraits magnifiques.  Pourquoi alors avaient-ils exposé des photos si conventionnelles ? 

 

Plus tard nous sommes allés, avec Andreï, au bord de la Katoun. Là de jeunes filles de Gorno Altaïsk peignaient, encadrées par leur professeur de peinture. Comme était curieux et amusant ce mélange entre le classicisme de leur peinture et leur look à la japonaise, mélange éclatant de couleurs vives et confusion des motifs !

 

   

 

 

 

  

     

 

Et puis, le soir, Valery et Tatiana m’avaient parlé d’un festival de « bardes ». C’est ainsi qu’ils appellent ces gens qui chantent en s’accompagnant de la guitare. Bien évidemment Valery espérait que je participe. Je lui ai dit que je n’étais pas sûr, je ne voulais pas jouer sur une scène avec ma guitare d’étude pour enfants de 8 ans !

 

Nous sommes donc partis sans ma guitare. Le festival avait lieu dans un autre centre de vacances, dans le village de Mangeroc. Lorsque nous sommes arrivés, il faisait nuit de partout sous les grands pins sibériens. De ci de là des chalets en bois, certains sombres comme les arbres, d’autres laissant fuser quelque lumière d’une fenêtre, d’un dessous de porte.

 

En suivant des sentiers d’aiguilles de pin nous arrivons bientôt devant une scène en plein air, juste courverte d’une bâche. En face une centaine de personnes sont là, certains pensionnaires du centre de vacances, d’autres des environs. On est assis sur des bancs et la température est juste convenable. Au bout de vingt minutes Andreï me dit qu’il va essayer de trouver des sacs en plastique pour protéger ses pieds car il est gelé. Il a des mocassins en toile, pas vraiment adaptés. Valery vient me dire qu’il a appris qu’il y a dans le centre une petite française. On fera connaissance un peu plus tard, elle s’appelle Anaele et est en séjour à Barnaoul pour un an. Elle me dit : « Oh, ça fait plaisir d’entendre parler français ! » Puis elle retournera vite à sa copine russe avec qui elle parle anglais.

 

 

 

Après un jeu de mise en route animé par un animateur du centre déguisé en Obélix, tiens ? Le festival proprement dit va être déclaré ouvert. Il sera introduit par un autre animateur du centre qui, d’ailleurs, démontre un vrai talent de guitariste. On enchaîne les morceaux en solo, en duo et jusqu’à quatre voix. Et puis, peu à peu, les chanteurs vont s’enchaîner plus individuellement, chacun venant démontrer son talent. Il y a des styles forts différents, comme ce chanteur Mongole qui m’a enchanté avec sa guitare à huit cordes.

 

 

Je proposai à Andreï d’aller rencontrer les artistes. Valery vint avec nous. A ce moment il y avait peu d’artistes derrière la scène. Après s’être renseigné, il s’avère que c’est une autre Tatiana, Khamova elle, qui accepta de répondre à mes questions. Je lui demandai donc quelle était la situation de la chanson d’auteurs compositeurs interprètes (c’est comme ça qu’on les appellerait en France non ?) en Russie. Selon elle cette chanson se porte bien. Elle offre un espace de liberté qu’elle apprécie beaucoup. D’ailleurs il existe beaucoup de festivals de cette musique. Quand je lui ai demandé si cette chanson passait à la radio elle me dit qu’il existait des radios spécialisées. Et puis le froid a interrompu notre conversation puisque Andreï était frigorifié, et qu’on tremblait tous un peu. Nous avons décidé d’aller nous réchauffer dans le bar du centre. Je pris conscience que la base se trouvait au bord de la Katoun, et que, au-dessus des arbres, la lune n’était pas loin d’être pleine. En effet, elle le serait le lendemain.

 

Installé dans le bar, les conversations ont repris leur cours naturel et nous ne sommes pas revenus à mes questions sur la chanson d’auteur en Russie. Bientôt Tatiana sort sa guitare et, de sa voix légère, haut perchée et douce, avec certains accents à la Barbara, elle nous joue quelques chansons. J’ai été très impressionné d’entendre une version très différente de celle de Sofia (cf les Carnets de Russie) de la chanson intitulée "Bestolkovaya liubov" de YOulii Kim.

 

 

Ils ont fini par me convaincre d’aller chanter une chanson sur scène. Après quelque thés dans le bar, après quelques chansons, nous sommes repartis sous la lune et les pins retrouver les sunlights.

 

En arrivant la petite Anaele chantait « Aux champs Elysée » et se faisait acclamer par la foule. Les Russes aiment les chansons françaises, même un peu oxydées, et ils devaient se rendre compte, un peu surpris, que cette petite française était bien aussi jolie que leurs starlettes !

 

Anaele-de-Toulouse, sur le podium s'il vous plaît !

 

Rentrés à l’hôtel, dans le noir de la chambre en rondins, je me suis dit qu’à la fin de mon séjour, il faudra que je fasse un portfolio de tous les sourires que j’ai photographiés pendant ces deux mois… Tous ces soleils vont finir par faire un super été… Tiens au fait, l’été Indien se dit en Russe « L’été des femmes »… ! Mais il y a eu des sourires des hommes aussi ! Oui : les Sibériens, quand ils s’ouvrent à vous, deviennent un rayonnement merveilleux de chaleur !

 

   

   Les chalets du centre de vacances « Tasarskaïa Okhota », qui signifie « la chasse des tsars ». 

 

    


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Dimanche 30 septembre 2012. Base de vacances de Tsarskaïa Okhota, village de Barangol

 

Quand je me suis réveillé, le soleil était déjà levé sur les montagnes qui entourent le village de Barangol et le centre de vacances Tsarkaïa Okhota. On nous a dit de prendre notre temps ce matin, nous n’avons qu’un rendez-vous l’après-midi.

 

 

Avec Andreï, nous décidons d’aller voir la cascade qui se trouve à 2km de la base de loisirs. Nous avons donc traversé la passerelle suspendue au dessus de la Katoun, 

 

 

puis marché à travers la forêt de pins, le long de sentiers, tantôt tracés en lattes de bois, tantôt en terre. Le soleil perce à travers les branches des pins et parsème la forêt de langues de lumières. Des chalets sont disséminés de ce côté de la rivière, marqués chacun par un numéro, comme c’est le cas des chalets où nous avons dormi. Cela laisse donc supposer qu’ils font aussi partie du centre de l’agence du Chasseur. Nous croisons sur le sentier quelques touristes qui parfois arrivent à nous saluer (les Russes n’ont pas, normalement, ces « civilités » de se saluer sur les chemins de randonnée).

 

 

Arrivés aux alentours de la cascade nous trouvons là une foule de gens, des familles et un groupe de jeunes certainement en voyage découverte. La cascade est annoncée par une multitude de rubans accrochés à un arbre, témoignage rituel altaïen systématisé par les Russes dans ces zones de montagnes. La lumière du soleil se régale de ces accidents chromatiques, que ce soit dans les multiples couleurs des rubans, des vêtements des touristes ou des reflets sur l’eau qui saute de roche en roche. Un parfum matinal couvre tout cela d’un vent de bonne humeur et la température est agréable.

 

Après le pont de bois sur le torrent un espace où sont plantées quelques tables en bois, certaines abritées par un toit conique. Deux baraques proposent des souvenirs, boissons et encas. A ce propos j’admirai ces théières qui chauffaient sur un barbecue et que la fumée avait garnies de bistre. Avec Andréï nous ne pouvons résister à commander ce qui, en fait, n’est pas du thé, mais une infusion d’herbes d’Altaï. Délicieux !

 

 

De retour au centre, un bon déjeuner nous attend, où une truite a la place d’honneur. Valery et Tania doivent avoir des affaires à finir car nous avons même eu le droit à une petite sieste. A quatre heures nous partons vers une zone proche de la base de Mangerok. La montagne où nous allions porte aussi ce nom.

 

 

Plus loin sur la Tchousty Trakt, on fait une petite halte pour puiser une bouteille de cette eau sacrée contenant, d'après Valery et Tatiana, de l'argent. La présence des rubans révéle cette saine coutume qui veut que, lorsque vous prenez quelque chose à la nature, vous lui faites un don symbolique en échange. Ces gestes d'attention sont extrèmement pertinents à mon sens. D'une part vous prenez conscience de ce que la nature vous donne, c'est-à-dire que vous ne considérez pas ses richesses comme un dû ; d'autre part vous consacrez le moment de votre visite, c'est à dire qu'en honorant le lieu d'un présent, vous honorez aussi l'instant de votre présence en ce lieu.

 

 

Après une petite heure de route Valery s’est garé sur un parking et nous nous sommes dirigés vers le télésiège qui gravissait la montagne devant nous. Andréï m’avait conseillé de m’habiller car, en altitude, il risquait de faire frais. La montée en télésiège devait durer 20 minutes !

 

Je me demande si ce n’était pas la première fois que je montais sur un télésiège sans ski aux pieds… Mais peut-être j’ai oublié, car cela fait très longtemps. La couleur des arbres sous nos pieds se généralisait autour des tons fauves. Je m’apercevais que j’étais entré dans l’automne sans vraiment en prendre conscience.

 

               

Plus nous nous élevions, plus le paysage était grandiose. Quelques lacs et étangs au premier plan et, plus loin, entre deux montagnes, le cours de la Katoun dont la couleur opaline restait perceptible, malgré la distance. Ce bonheur visuel n’était gâché que pas nos oreilles. Car les concepteurs de ce télésiège ont eu la sinistre idée de sonoriser cette remontée, si bien que nous fûmes harcelés pendant 20 minutes par une musique commerciale qui n’avait aucun rapport avec ce paysage, nous privant du délicieux frémissement des feuilles traversées par le vent…

 

 Avec Andréï nous en venions à regretter de ne pas avoir un fusil pour pouvoir dégommer ces sinistres haut-parleurs !

 

De temps en temps nous croisions un couple sur un siège descendant, ou une famille, ou une mère et son fils, ou une bande de copains et copines qui, sans se soucier de la pollution sonore venue des haut-parleurs, chantaient en chœur d’autres chansons. Mais nous avons eu aussi la surprise, quelque peu surréaliste, de croiser … un cerf empaillé !!!

 

  

Plus loin encore paissaient tranquillement un troupeau de chevaux. L’un d’eux portait au cou une cloche, comme les vaches dans nos montagnes. Leurs robes baies ou alezanes s’enflammaient sous les rayons cuivrés de cette fin d’après-midi.

 

Et nous fumes, je ne dirai pas « enfin » car la montée était un enchantement, au sommet. Là quelques animations attendent le tourisme. D’abord des photographes qui vous demandent si vous voulez être pris à l’arrivée du télésiège, puis un homme qui peut presser des pièces en cuivre à votre nom, puis une jeune femme et son énorme aigle que vous pouvez installer sur votre bras ou votre cuisse le temps de quelques photos. L’animal était d’une patience stoïque, sauf quelques fois où, las de siéger sur une épaule ou une jambe inconnue, il sautait retrouver son coussin rouge posé sur un banc. Sa maîtresse nous dit qu’il pesait cinq kilos et avait neuf ans, ce qui en faisait un jeune aigle, - leur vie pouvant aller jusqu’à 47 ans !

 

   

Un peu plus loin était visible un grand talisman qui semblait déterminer l’entrée d’un lieu sacré. Il était dominé par un motif en bois représentant un aigle. Dessous, un cercle jaune qui pourrait être un miroir, et, plus bas, la peau entière d’un grand animal, cerf ou Maral, entourée d’un entrelacs de branches tortueuses en guise de cadre. Au centre du talisman, l’inscription « LEGUENDI GOR », ou, « la légende des montagnes ». Nous passons à sa gauche et empruntons un sentier bordé d’une palissade en bois. Le lieu est avenant, un peu trop attractif peut-être ; on hésite à le classer entre tourisme et lieu de culte. Andréï me dit « Regarde, là-haut, c’est un véritable aïl. Un homme vit dedans toute l’année ! ». Et j’aperçois, parmi les grands pins, un tipi de bois d’où s’échappe un filet de fumée.

 

Le sentier qui descend vers la vallée bifurque soudain vers la gauche et je découvre à quelques mètres une cabane en bois à la porte grande ouverte. A gauche, assise en tailleur contre le flanc d’un rocher, une « baba » dorée offrant aux derniers rayons de soleil une poitrine débordante de… sagesse.

 

Un homme nous accueille, dans un curieux costume qui ne ressemble à rien de ce que j’ai vu auparavant. Sur un ample treillis aux couleurs de camouflage, il porte un costume tout en diverses peaux d’animaux. C’est extrêmement impressionnant d’autant plus que le personnage n’a pas la carrure d’un insecte ! En outre, cette base de cuirs et de peaux est abondamment ornée de toutes sortes de décorations, d’accessoires et de grigri. Des plumes et des coquillages sont cousus, les plumes plutôt dans la partie haute, les coquillages dans la partie basse. Des colliers en bois, ou en perles de divers minéraux, serpentent un peu partout. Des médailles de bronzes, des médaillons aux matériaux mélangés, ont l’air de parsemer son habit comme des étoiles jaunes, grises et brunes dans un ciel où les constellations auraient été converties en peaux d’animaux. Il porte une ceinture en cuir, fermée par un médaillon où rugit la gueule d’un lion. Sur cette ceinture sont fixés différents étuis et cornes. Le manche d’un couteau y affleure. Pour les autres, leur contenu reste mystérieux. Dans la main il tient une sorte de petit fouet, qui pourrait tout aussi bien s’appeler une matraque et, enfin, sous son bras, il tient son sceptre identitaire : casque surmonté du squelette de la tête d’un Maral : cette espèce de cerf dont les cornes servent à fabriquer des remèdes contre les « problèmes masculins »…

L’homme c’est Artem, un jeune shaman. Il va commencer par me présenter le contexte du lieu ; demandant à Sergueï toute sa concentration de traducteur. Nous sommes, dit-il, dans un endroit de culte du peuple Toubalav. La tribu vivant ici s’appelait Tchus, et le mont Tchussran. C’est en effet un des trois monts principaux de l’Altaï avec le Boburgau et le Moustak.

 

Ces trois montagnes portent les noms des trois chevaliers qui ont protégé les Monts sacrés de l’Altaï contre la grande steppe. Car, précise-t-il, de l’Ienisseï jusqu’au Danube, les Nomades des steppes détruisaient tout ce qu’ils trouvaient devant eux… Il y a eu 9 invasions de nomades pendant les derniers 2000 ans.

 

Ces affirmations se croisaient globalement avec ce que j’avais lu ou entendu auparavant. Je le laissai donc continuer. « Les peuples d’ici, quand ils voyaient les nomades arriver, allaient se cacher dans les montagnes. C’est ainsi qu’ils ont réussi à se préserver des peuples nomades et qu’ils n’ont pas été touchés par leurs massacres. C’est ainsi qu’ils ont pu conserver leurs traditions et leurs gênes…

 

Ici, d’après lui, nous sommes au centre énergétique du Mont. Il m’indique un rocher en forme de dard s’élevant obliquement du sol : c’est l’épicentre du mont précise-t-il, et voilà pourquoi ce lieu est devenu un lieu de culte.

 

Il y avait selon lui (et selon Dmitri, notre guide du Musée de Biÿsk) une Baba (entendons une déesse) entre la Bia et la Katoun. Elle était tout en or et recevait les pèlerins de toute la contrée, et notamment des montagnes.

 

Qui dit « Baba » dit un lieu de sacrifices. C’est pourquoi des voyageurs autrichiens venus ici au XVIème siècle ont raconté qu’il y avait de l’or ici. Cette Baba avait un réserve d’or immense, mais on ne sait pas où elle se trouve…

 

Je remarque qu’il y a chez Artem une volonté quelque peu maladroite d’étonner son monde avec des légendes extraordinaires. Mais c’est ainsi en Russie. Les miracles abondent dans tous les lieux de culte, et dans les sanctuaires orthodoxes plus que tout autres. Artem m’a dit un peu plus tard qu’il était métis, d’un père Ukrainien et d’une mère altaïenne. Il a dû hériter des orthodoxes cette tendance à parsemer ses visites de phénomènes invraisemblables. Ce sera son plus gros défaut. Surtout qu’avec moi, il faut dire, il était mal tombé...

 

Mais je n’étais pas là pour démolir ses argumentations. Je comprenais son malaise. Il me dit en effet : « Cela fait quatre ans qu’ils ont installé ce télésiège. Maintenant cet endroit est davantage devenu un lieu où on vient se saouler à la vodka qu’un lieu saint. C’est pourquoi il nous a fallu protéger l’espace en l’occupant. » C’est dans ce même processus qu’il a décidé de créer sa Baba dorée. « Tous les shamans viennent ici pour recevoir l’énergie du centre du Mont. C’est là que toute la force tellurique se concentre » Il sort un pendule et nous montre qu’il bouge à peine au niveau de la maison, mais lorsqu’il l’approche de sa déesse dorée, le pendule s’immobilise sous ses doigts. « La déesse permet de calmer toutes les perturbations et crée une zone de stabilité. Et puis, pour les visiteurs, elle impose le respect. Je me suis inspiré de la déesse de la Katoun et je l’ai construite entre la nouvelle lune et la pleine lune ».

 

Nous allons ensuite faire une série de photo puis un couple va arriver. Il interrompt notre conversation et va faire subir au couple un rituel simple, se tenir la main, paumes en l’air, devant un totem dominé par les trois éléments : l’air symbolisé par l’oiseau, la terre symbolisée par un agneau, et l’eau par un poisson. Au dessous des trois éléments un creux a été incisé dans la coupe d’une bille de sapin et au centre, on retrouve ce disque jaune, que j’avais pris pour un miroir dans le talisman de l’entrée de la zone de culte. Mais il est clair maintenant qu’il symbolise le soleil, donc l’élément manquant, le feu. C’est d’ailleurs exactement sur ce disque que les deux amoureux devront aligner leurs mains l’une sur l’autre.

 

Le même rituel aura lieu devant la déesse, pour finir par former, des quatre bras des amants, la forme d’un cœur…

 

   

 

Mais on me dit que je vais devoir monter dans l’ail de Nicolaï. Artem m’explique que Nicolaï Vessilevitch est le Président du conseil des Aïssans de la République d’Altaï. C’est leur chef à eux, jeunes shamans, et c’est lui qui habite l’aïl Tchidirki que nous avons vu tout à l’heure. J’entends dire qu’on doit faire vite, qu’on est limité en temps. Nous partons donc pour l’aïl.

 

A l’intérieur, c’est une ambiance très chaleureuse et douillette. Les murs coniques sont recouverts de peaux, le sol en bois de tapis. A part la porte d’entrée, il y a une petite fenêtre à travers laquelle le soleil, bas à cette heure, entre et se projette sur la cloison d’en face. Cela indique que l’aïl a été orienté par rapport au soleil, l’entrée se faisant par le sud. Nous trouvons là Nicolaï qui discute avec des personnes qui ont l’air de partir pour nous céder la place. Il fait bon dans la tente. Un poêle a été installé à droite de la porte, dont le conduit longe une arrête du tipi pour s’élever jusqu’à son faîte. Valery, Tatiana et Andreï sont entrés avec moi. Comme j’allais m’asseoir à droite, Tatiana me signale que c’est le côté des femmes et que je dois m’asseoir du côté gauche.

 

 

 

J’espérais un peu qu’Alexeï, le chef shaman, dont je voyais le tambour posé sur le fauteuil, allait rester et que quelque chose se passerait avec lui. Mais, après quelques mots il est sorti tandis qu’Artem venait prendre sa place. Il commença alors à nous parler du tambour. Non celui de shaman, posé sur le canapé, et que j’avais vu dans plusieurs musées, mais l’énorme tambour qui occupait presque tout le fond de l’aïl. Il nous dit qu’il restait en République d’Altaï seulement 10 tambours similaires, mais que seulement quatre étaient encore en état de fonctionner. Celui là était le plus vieux. Sans tarder, il me demanda de venir m’installer devant le tambour.

 

 

 

J’étais décidé à jouer le jeu. De plus, il me prenait par les sentiments : un instrument pareil imposait le respect… Il me demande de fermer les yeux et d’essayer de voir la lumière d’or. Et j’entends derrière moi la résonnance vaste et feutrée du grand tambour. Très doucement Artem le caresse de son maillet, un pieu de bois entouré de laine. Et puis de plus en plus fort….

 

Je suis immédiatement conquis par le son de l’instrument. Un son relayé par une acoustique parfaite dont les 9 mètres de hauteur de l’aïl, le plancher de bois et les parois couvertes de peaux forment la caisse de résonnance. L’image sonore est énorme ! Je me sens au centre de l’immense vibration, essayant de voir une quelconque lumière… dorée ou non…

 

La lumière reste absente, mais j’ai soudain l’impression d’être porté par le son du tambour qu’Artem joue par vagues allant du moins au plus fort. De plus, il ne tape pas toujours au même endroit : le son se déplace à tel point que vous semblez tanguer avec lui. L’impression qu’il m’en reste est vraiment d’un vol. Comme si le tambour était une terre sur laquelle j’aurais volé. C’était d’ailleurs intriguant que d’une situation horizontale j’arrive à éprouver une situation verticale. Le tambour est en effet derrière moi, parallèle à la position de mon corps, et je le sens sous moi, nous mettant tous les deux dans une position de cercles horizontaux empilés les uns sur les autres.

 

 

Il y eut deux cycles de battements. Et au début du deuxième les battements étaient presque imperceptibles, comme venus du sous-sol. L’intensité monte et les lourdes basses traversent mon corps, baignant de son onde chacune de mes cellules. A la fin le marteau devient caresse, léger comme une plume, puis il s’arrête de battre. J’entends à la place la respiration d’Artem sur ma gauche. Il est assez essoufflé. Le temps de se ressaisir et il dit quelques mots qu’Andreï traduit comme des compliments. Puis il m’explique qu’il n’a pas senti en moi d’énergie négative, qu’au contraire mon énergie est « très claire ». Il me demande si je fais de la méditation. Je réponds que non. Andreï lui dit alors que je suis musicien. Il dit alors que la musique est une thérapie pour l’esprit et le purifie des mauvaises énergies. Moi qui m’étais toujours senti un peu « opaque », je suis fort surpris que cet homme voit en moi autant de « clarté ». Il continue « Les personnes qui sont aussi pures que toi sont rares. Le dieu te voit car ta liaison avec l’espace est ouverte. Tu vas rester sain assez longtemps et tu vas atteindre tes buts sur cette terre. Pour toi la chose la plus importante c’est la création. C’est pour ça que tu es si pur. Je suis vraiment ravi d’avoir vu une si pure personne. Il y a tellement de gens avec l’âme sale. Les gens ne pensent qu’à leurs problèmes de subsistance, qu’à l’argent, et ça leur gâche la vie et il ne reste  pas de place pour l’ouverture vers Dieu. »

 

Ces paroles avaient un écho particulier dans mon esprit qui avait limogé toute présence divine depuis l’âge de 17 ans. Pourtant, si le Dieu dont il parlait était comme l’esprit de ce lieu, alors je voulais bien que cet esprit me reconnaisse une ouverture à lui. Car c’est vrai que j’aimais ce lieu. Et j’aimais l’esprit de ce peuple ancien qui depuis des millénaires tentait de conserver une foi en son identité et à la nature qui l’a accueilli et protégé des invasions.

 

Je suis sensible à ces croyances animistes qui visent finalement à l’intégration d’un individu dans l’espace. La multiplicité des présences divines est comme une reconnaissance de l’importance de chaque être. Chacun peut y trouver sa place, peut se projeter dans l’une ou l’autre de ses divinités. Contrairement au monothéisme qui place au centre la présence patriarcale, le père, le chef, le pouvoir… En outre j’aime aussi cette importance donnée aux lieux et le respect qui en découle. C’est certainement le plus parfait des sentiments d’écologie et de respect de l’environnement. Le monothéisme qui a toujours semé du démon dans la nature, dans l’animalité, dans les instincts naturels, dans la révolte, dans l’aspiration au bien être et aux plaisirs naturels, a finalement transformé la terre nourricière et l’ensemble de ses forces en un mal dangereux contre lequel il fallait lutter et se défendre. Le résultat en est tous les désastres que nous avons infligés à la nature et aux hommes qui en dépendent.

 

J’ai toujours considéré que ces peuples indigènes auraient beaucoup à nous apprendre. Leur rapport doux à la nature, rapport de réciprocité, est un rapport équilibré, que ce soit dans les conséquences sur la nature, son respect, sa conservation, mais que ce soit aussi sur l’homme proprement dit. Car dans chaque homme il y a une nature qu’il faut préserver, et adapter aux rapports aux autres. Je repensais à la poignée de main de Galina. Si entière, si naturelle, si confiante dans son contact avec la vôtre ! Nos sociétés nous ont appris la peur, la peur de la nature, la peur de l’autre, la peur du contact, la peur de l’échange, la peur des pulsions de nos corps, de nos désirs, de nos aspirations à un état de bien être…

 

Alors oui, jeune shaman, je veux bien la garder cette clarté que tu m’attribues. Tu as senti que je n’avais pas résisté à ton rituel, que je t’avais laissé m’emporter dans ces vibrations originelles, dans ces ondes qui m’enfonçaient dans la chaleur de ce lieu, dans sa bienveillance, dans le rôle fondamental qu’il avait eu pour les peuples qui y avaient vécu. Et, quand nous sommes sortis de l’aïl, je dois avouer que j’étais comme abasourdi, ou plutôt, envahi d’un calme énorme. Je me souviens d’une sensation identique, en 1985, alors que je sortais d’un hammam algérien. Un gros eunuque m’y avait complètement purifié la peau en y retirant, avec son éponge de fibres, un tas de 2 centimètres d’impuretés !

 

Le pur, l’impur, j’ai toujours été méfiant de ces notions cliniques, ou idéologiques. En tout cas, avant notre redescente dans la vallée, je me suis senti comme vidé d’une quantité phénoménale de stresses divers, - comme quoi je n’étais pas aussi pur que cela… J’aurais aimé, comme dans une peinture de Chagall, m’extraire de la gravitation, et m’envoler par-dessus cette somptueuse nature mêlant les verts et les fauves, le vide et le plein, et me laisser baigner par les rayons orangers du couchant…

 

 

 

Seulement je ne suis qu’un homme. Et un homme est soumis à l’attraction de la terre qui l’attire irrésistible à elle. Pour que ce vol soit possible il a donc fallu que nous nous embarquions sur un télésiège et, pendant qu’Artem nous racontait de nouveaux contes de fée, je savourai la lévitation au-dessus d’un si somptueux paysage…

 

Le soir, à l'hôtel je vérifiai si mon intuition se confirmait : oui, ce 30 septembre était bien un jour de pleine lune.....

  


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Mardi 2 octobre 2012, Belokurikha.

Je suis arrivé à Belokourikha dimanche soir et on m’a laissé là, à l’hôtel, tout seul pendant presque une semaine. C’est nouveau, j’en suis ravi. Beaucoup de pages à terminer, et après les différentes visites de Musée, il est bon de laisser reposer son esprit. Lundi, je suis donc allé visiter à pied cette petite ville. Petite, vraiment, ce qui est rare en Russie. Pour une ville s’entend. Petite mais extrêmement propre. Il y a ici ce qui manque presque toujours aux petites villes russes : trottoirs et bordures bien entretenus, contreforts semés de gazon, de massifs de fleurs. Cette ville a un air de joyau attentivement soigné. C’est que nous sommes ici dans une ville d’eaux presque exclusivement réservée aux vacances, aux soins et à la détente…

J’ai pensé un peu à Vittel. Les Russes appellent Belokurikha la petite Suisse. La ville n’est pas très ancienne, moins de 150 ans. 

Elle s’est construite autour d’une source, chaude soi-disant, qui était entourée de serpents. Les quelques habitants à la ronde couvraient cette source de terre afin de chasser les serpents qui vivaient autour…. Mais ils savaient utiliser aussi cette eau pour se soigner. C’est donc par eux qu’un dénommé Semion Khazantcev, sorte de prospecteur en la matière, apprend l’existence de cette source et ses soi-disant pouvoirs. Il teste l’eau sur une des ses blessures puis sur sa petite fille atteinte d’une maladie bubonique. Dans les deux cas le pouvoir curatif de l’eau se confirme. Il fait alors analyser l’eau par un savant de Barnaoul, S. I. Gulyaev qui confirme ses qualités thérapeutiques, et, en 1869, Khazantcev, avec deux autres investisseurs, ouvrent le premier établissement curatif : 17 baignoires sous toile !

 

L’eau de Belokourikha contient 17 microéléments au pouvoir curatif. Nous sommes ici sur un sol granitique, propice à la pureté de l’eau, en même temps qu’à son enrichissement en métaux rares

 

En 1937 est construit le premier établissement thermal de standing, un beau bâtiment constructivisto-classique où est installé aujourd’hui un petit musée.

 

 

Mais c’est depuis les années 70 que la ville connait un grand essor. Les sanatoriums ont poussé comme des champignons, on y a planté des fleurs, des statues, des pelouses, des chemins, des petits ponts, des portiques. En fait, la ville est partagée en deux zones : une zone urbaine pour ses habitants, avec ses tours Kroutcheviennes et ses commerces ; une zone de promenade et de repos où vont être concentrés tous les sanatoriums. On en compte quand même trente dans la ville ! La moitié pour les adultes, la moitié pour les enfants. Huit agences de tourisme, 17 hôtels ou pensions.



 

Autre trait particulier, Belokourikha, protégée par les montagnes d’Altaï, bénéficie d’un micro climat. Ce qui ne profite pas qu’aux sanatoriums et à leurs curistes, mais aussi aux agriculteurs de la région qui ont presqu’un mois d’ensoleillement de plus que les autres paysans sibériens ! Le résultat est un urbanisme soigné, visible des kilomètres avant lorsque, en regardant les isbas de fermiers, on se rend compte qu’elles sont rénovées, présentent des couleurs fraiches et des abords soignés.

 

 

Ma promenade m’a donc conduit instinctivement vers la zone… comment dire ? balnéaire ? Thermal serait un abus de langage puisque la source d’eau chaude du passé a disparu… Elle commence par une statue dorée représentant une déesse grecque que je n’ai pas pu identifier. La déesse de la pureté me dit-on… Eurinome ? Décidément la pureté me jette dans la confusion ! Et, à partir de là, c’est une zone de promenade très agréable dont le meilleur à mon sens est l’ensemble de ces marchands qui proposent une foultitude d’objets extrêmement curieux, à s’en remplir les bagages du retour ! Cela commence par des allées de tricoteuses mongoles ou Kazakhes qui exhibent de magnifiques accessoires en laine de cachemire : des socquettes, des moufles, des faux cols, des ceintures pour vous réchauffer les reins, des guêtres et de sublimes chaussons ! 

 

 

 

 

Plus loin on arrivera dans une sorte de rue piétonne bordée des deux côtés par des étalages. Ceux-ci sont tenus plutôt par des russes. On y trouve cet artisanat dont j’avais eu quelques rudiments à l’école d’art folklorique de Biÿsk. Les boites en écorce de bouleau gravée ; des napperons aux couleurs folkloriques sibériennes ; des collections invraisemblables d’instruments en bois, de la simple cuillère à des systèmes sophistiqués de corbeilles ou d’instruments à masser le dos, des colliers et divers bijoux ; des couteaux, mais aussi divers kitchs dont certains doivent arriver de Chine tellement toutes ces babioles sont identifiées à la main d’œuvre très bon marché de ce pays. Bref, il y en a pour tous les goûts, des meilleurs (le plus souvent) aux plus exécrables (la médiocrité est partout, hélas) ! La rue est bordée d’arbres, une sorte de noyers chinois, dont les longues feuilles jaunies se mélangent à la marchandise et font un agréable tapis sur le bitume.

 

 

 

Mais la promenade peut se poursuivre, les chemins continuent, suivant le ruisseau qui porte le nom de la ville. Plus nous avançons le long de ce boulevard pédestre, plus nous nous enfonçons dans les flancs boisés de la montagne en face de nous. Les bâtiments sont de moins en moins nombreux, parsemés par îlots. On y voit piscines (vides en cette saison) et enseignes d’hôtels équipés en bains. La rivière est souvent à notre gauche, mais un pont la serre à notre droite. J’avais donc découvert un premier usage possible de cette ville, la promenade. Elle y est agréable mais je découvrirai plus tard qu’elle peut être aussi passionnante la nuit.  

 

 

J’ai terminé cette première journée en allant découvrir l’espace balnéaire du principal sanatorium, je pense qu’il appartient à la ville. Une grande piscine constituée de plusieurs bains, avec des jets divers, aériens ou intérieurs. On peut y passer des heures, nager, se prélasser sur un courant de bulles, ou tenter de remonter le fort courant d’un couloir circulaire. Et puis, lorsque vous en avez marre de la piscine, vous pouvez vous rendre à l’espace des banya, ou la température est réglée à un niveau supportable, même très agréable. Rien à voir avec le banya du lac blanc ! Et puis, en sortant du banya vous pouvez aller vous rafraichir dans un jacuzzi dont les bulles caressantes et relaxantes vous prépareront à une profonde nuit de sommeil…..

             

 


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Jeudi 4 octobre 2012, Belokourikha

 

J’avais demandé à Valery de ne pas me chercher d’interprète avant mardi, 14 heures. J’ai donc reçu un appel d’une jeune femme qui me disait, en anglais, qu’elle s’appelait Daria et qu’elle viendrait m’attendre avec la directrice du tourisme à la réception de l’hôtel. A l'heure dite, quand j’arrive à la réception, elles sont trois à m’attendre, Viera, la Directrice du tourisme, une charmante femme de mon âge, et deux étudiantes dont j’ai compris à peine plus tard qu’elles étaient sœurs, Daria donc, et Helena.

 

Nous nous sommes rapidement retrouvés dans une Volga de l'administration. Celle là avait un très beau tableau de bord en cuir cousu... Puis nous avons rejoint un groupe de touristes pour une visite guidée dans un petit autobus. Le chauffeur, tout en conduisant, commente les bords de la route à l’aide d’un microphone casque. Vers une église orthodoxe une autre guide, qu'on nous présenta comme la meilleure  de Belokourikha, nous a rejoints... 

 

 

Viera, Daria, Helena, et la "meilleure guide de Belokourikha"

 

A côté de l'église se trouvaient deux sources et une multitude de récits incroyables, mais en lesquels mes co-visiteurs orthodoxes semblaient croire sérieusement… Pour ce qui est du pouvoir de la source, il semblait authentique et j’ai vu la septique Daria la boire et s’en mettre sur les yeux.


 

Peu à peu je découvrais cette entité à deux têtes que formaient Daria et sa sœur. Daria fonceuse et intrépide et sa sœur Héléna tout en réserve mais qui n’en ratait pas une. Nous sommes ensuite allés visiter un sanatorium au rez-de-chaussée duquel se trouvait une brasserie. On a eu droit à la présentation de tous les mystères de fabrication de la bière, puis à une dégustation. Finalement nous ne sommes pas entrés dans le sanatorium… Vers la fin de l’après-midi nous sommes montés sur une colline, magnifique en cette saison de feuilles automnales, pour y visiter une ferme à volailles, pourrait-on dire, présentant des espèces très jolies et décoratives de gallinacées. Parmi ces variétés colorées et élégantes, la poule Orloff, la magnifique Nègre-Soie, le chanteur de Yourlov, et d’autres encore aux jolis chaussons de plumes, - deux espèces devaient désespérer qu’on puisse les identifier à ces vulgaires picoreurs : les autruches, immenses et curieuses, et un noble individu, certainement le plus intelligent de tous : un noble cochon vietnamien !

 

 

 Au fur et à mesure des événements, je commençais à mieux connaître Daria qui avait comme atout sur Viera et Helena de pouvoir me parler directement. Si les débuts étaient hésitants, nos anglais commençaient à devenir plus transparents. J’appris donc qu’elle et Helena venaient de la République de Touva, qu’elles étaient d’une famille Russe et Ukrainienne, que leur père était un paysan rêveur qui parlait l’Anglais et le Français et leur mère une artiste qui, par son travail d’enseignante, permettait quand même à ce que la famille ne manque de rien. Plus j’écoutais Daria me parler de sa famille, plus je découvrais qu’elle venait de la famille du bonheur, - mais n’allons pas trop vite et continuons la visite.

 

Tout le monde a donc eu droit à la séquence photo en train de donner des graines à une race plus petite d’autruche qui évoluait parmi les êtres humains sans aucun complexe ni agressivité. Après, je suis allé échanger quelques mots avec mon cousin le cochon, - puisque les chinois ont décidé depuis très longtemps que leur astrologie me lierait à cet animal.

 

 

J’avoue que celui là n’avait pas énormément de conversation sauf lorsqu’on lui caressait le front. Comme nous étions proches dans ce sens ! Sans être astrologue je peux donc l’affirmer comme un fait : les cochons aiment la tendresse !

 

Autant je peux regarder des singes pendant des heures, autant ces animaux de basse cour me lassent vite. Même pour Daria et Helena qui pourtant disaient beaucoup les aimer, il arriva un moment où on avait envie de voir autre chose. Nous sortons donc de la ferme-zoo, du reste très propre, et ça fait plaisir de voir un cochon qui vit sur un sol sec et nettoyé. De l’autre côté de la rue le paysage est magnifique, et tout aussi magnifique la lumière de fin d’après-midi qui enflamme littéralement les jaunes et les roux de la forêt d’automne. Comme j’ai deux jolis modèles avec moi, j’en profite pour faire une photo des deux sœurettes.

 

 

 

  En rentrant nous nous retrouvons dans le bus avec Viera qui doit être un peu agacée que ces deux gamines lui enlèvent la vedette. Mais elle n’en laisse rien paraître et la journée se termine dans l’harmonie d’une petite équipe sympathique. Avant de nous quitter Viera m’invite à découvrir l’endroit où elle travaille le soir, et qui ne manquera pas de m’intéresser me dit-elle. Nous prenons rendez-vous, ce sera à 20 heures 30 !

 

Le lendemain, Helena passe me prendre en taxi. Elles ont tout prévu, payé le taxi d’avance. Je suis leur invité. Le taxi remonte toute la vallée des sanatoriums et des promenades, puis il prend à droite une rue qui monte, mal entretenue, puis il arrive au départ d’un télésiège et s’arrête. Helena m’indique un lieu qu’une lumière unique, éblouissante, cache les alentours. Un peu de fumée et l’odeur de viande cuite révèle un barbecue où grésillent des chiechlik (brochettes). Quand on s’approche on découvre soudain qu’on va entrer dans un aïl, un tipi en bois pour ceux qui n’ont pas lu les pages précédentes. Et c’est toujours impressionnant d’entrer dans un aïl : on croit qu’on va arriver dans un réduit conique et, en fait, on entre dans une véritable pièce assez grande pour que cinq larges tables rondes, pouvant accueillir chacune presque dix personnes, et un large bar au fond à droite. La décoration est, comme toujours, magnifique : des peaux d’animaux sur les murs, des tapis au sol, des animaux empaillés, et une multitude d’images anciennes, d’accessoires divers et des plus inattendus. 

 

 

Et là je découvre que Daria est assise sur une chaise installée sur une petite estrade, une guitare sur les jambes et qu’elle est en train de chanter ! Je n’avais pas compris que c’était cela leur job de soirée ! Car Daria m’avait bien expliqué que ce job était un extra pour compléter son travail de prog d'anglais (qui, lui, ne permettait que de payer le loyer), mais je n’avais pas compris que ce job était de chanter avec Helena en se faisant payer au chapeau ! Un métier que je connais bien pour l’avoir pratiqué pendant des années ! Mais, ce qui va me troubler quelques heures plus tard, c’est quand j’apprendrai que Daria est née le même jour que moi, bien qu’à des années d’écart, et que nous avons en outre le même signe chinois ! D’un seul coup, cette petite frondeuse devenait une sorte d’âme sœur, presqu’un double avec 24 ans de moins !

 

 

Cette impression se confirmera le lendemain. Car les deux sœurs avaient jugé que la visite du premier jour n’était pas très adapté au fait que je n’étais pas orthodoxe, ni un grand amateur de la vie des animaux de la ferme, fussent-ils mes cousins ! Aussi m’ont-elles proposé de prendre le télésiège et d’aller découvrir ce qui se tenait au-dessus.

  

Nous voici donc sur le télésiège, nous élevant peu à peu au-delà de la forêt qui cache la ville. Alors un immense panorama s’ouvre sous nos yeux, avec la forêt polychrome au premier plan et la ville qui s’étend à perte de vue, et la rivière qui fend tout ce mélange de briques et de verdure en deux.  

 

 

 

Arrivés sur la plateforme d’atterrissage un curieux rocher se présente à droite avec sur son faîte, une croix dorée. Je suis en train de l’escalader lorsque je vois Daria qui s’exclame de plaisir en se voyant offrir quelques graines dans le creux de la main. La réaction quelque peu étrange va bientôt s’expliquer : Daria tend sa main vers un buisson et je vois un écureuil en surgir et s’approcher de la main tendue. Il a le dos couvert de rayures brunes et blanches sur son poil châtain. L’animal est très audacieux, pose ses pattes sur les doigts de Daria un sourire jusqu’aux oreilles pour se saisir de la graine et d’en avaler le contenu. Et puis il se décide, et le voilà les quatre pattes posées sur la main de Daria qui exulte !  

 





 

 

Nous nous dirigeons ensuite vers un sentier, délaissant à droite un café restaurant fermé en cette période de l’année. Les visiteurs sont nombreux, de tous les âges, sympathiques. Bientôt une trouée dans les arbres ouvre sur un paysage sauvage et intime, où l’automne a décliné toutes les nuances du jaune au rouge. 

 

 

Nous obliquons ensuite sur la droite où un énorme agglomérat de roches, comme un mini cairn réalisé par des enfants sur la plage. On me dit que la coutume veut qu’on y pose une main pour faire un vœu, ce que je ferai. Et là, les écureuils viennent faire la manche par deux, par trois, par quatre ! Et un magnifique oiseau vient leur faire une concurrence musclée, défendue à coup de becs ! Les deux petites sœurs sont ravies, et j’adore les regarder s’amuser ainsi, toutes en simplicité et en émotion naturelle.

  

 

 

Plus tard je demanderai à Daria, qui avait emmené sa guitare pour pouvoir commencer son job juste après la visite, de me chanter cette si belle chanson Touva qu’elle avait interprétée la veille ! Je l’ai filmée. Et je pense qu’elle risque très probablement de devenir la base de ma prochaine chanson.

 

 

 

A six heures, heure contractuelle pour Daria et Helena, nous étions à nouveau dans l’aïl. Cette fois il était plein de monde. Daria et Helena ont vite pris leur place et commencé à chanter. Daria était à la guitare, Helena, assise sagement à sa gauche, doublait sa voix ou prenait une seconde voix. Malgré que Daria ne soit pas dans un tempo extrêmement régulier, je m’aperçus que, néanmoins, Helena était toujours en parfaite synchronisation avec sa sœur. C’en était parfois incroyable quand on arrivait plus à discerner l’une ou l’autre des voix. Quand je lui ai parlé de ce phénomène, Daria me dit que, dans leur famille, elle entendait chanter depuis qu’elle était née. Sa mère, sa tante étaient des chanteuses confirmées, bref, quasiment tout le monde chantait chez elle. Alors, Helena et elle c’était la même chose, c’est comme si elles chantaient ensemble depuis leur naissance.

 

Je me mis à chanter à mon tour. Les clients, déjà attentif au charme des deux sœurs s’étonnèrent de cette voix étrangère. Et comme, en Sibérie, on adore le Français, on s’arrêta même de parler ! Alors ce fut une alternance, entre elles et moi, et les commandes d’alcool redoublèrent, et l’ambiance de plus en plus chaude ! On m’invita à déguster un alcool local. Tout d’abord j’ai cru que c’était un alcool de fleur, de rose ou de mauve. Mais, lorsque l’on me dit que c’était du raisin alors j’eus un flash ! Car oui, je connaissais ce parfum ! C’était le même goût que cet étrange raisin que mon arrière arrière grand-père, d’origine italienne, avait ramené de son pays ! Il en reste encore aujourd’hui deux pieds, qui ont grimpé sur un autre arbre et sur un poteau télégraphique pour s’élever à presque dix mètres de hauteur ! Ce raisin a un goût de fruit rouge, entre la fraise des bois et la framboise ! Fallait-il venir jusqu’au fin fond de la Sibérie pour voir ce mystérieux raison, au goût si particulier, à la base d’un excellent alcool blanc ! Je me suis laissé m’en servir un peu plus que d’habitude. De nouvelles personnes arrivaient, dont une bande d’hommes aux carrures colossales, qui se mirent à faire surgir dans le tipi leur voix rugissantes, lesquelles faisaient immédiatement passer au rang des miaulements de castras les pires voix russes que j'avais entendues dans les films de James Bond  ! 

 

 

Avec mes petites frangines on était devenu le clou de la soirée. On nous prenait en photo, des flots de billets tombaient dans le chapeau ! Les femmes, les hommes, tout le monde avait le sourire aux oreilles. Lorsque nous sommes partis je fais une photo où les gens me font un geste d'adieu. Bref, j’étais en train de passer une soirée comme j’en espérais depuis le début de ce séjour. Merci les frangines !

 

 

Je ne sais plus très bien à quelle heure je suis rentré. Le lendemain, alors que j'attendais mon bus à 6 heures du matin, je vis la petite Daria arriver dans la salle d'attente de la gare routière. Elle qui m'avait dit qu'elle avait horreur de se lever le matin, elle avait fait l'effort de se lever pour me dire adieu. Depuis la fenêtre du bus je l'ai vue partir lentement dans la nuit. P'tite frangine, merci et bon vent !.... 

 


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Lundi 8 octobre 2012, dans le bus de Novossibirsk à Barnaoul

 

Vendredi, 6 heures du matin, départ de Belokourikha.  Je vais à Novossibirsk où j’arriverai à 13 h 30. Sept heures trente de voyage, c’est une bagatelle en Russie ! Et, pour moi, aller à Novossibirsk, c’est comme partir en week-end. Lena m’accueille comme elle accueillerait tout autre de ses amis : naturellement et sans façon.

 

   En transit à Biÿsk. La gare. Il est 7h30 et il fait 6°. Pour la saison ça me paraît normal non ?

 

 

  Samedi, la pluie finira par tomber sur Novossibirsk, ce qui incitera Lena à me déconseiller la visite du zoo que j’avais envisagée. En revanche je lui ai proposé d’aller écouter Tatiana, rencontrée au festival des Bardes, à Mangerok. Dans un mail en russe qu’elle m’a envoyé, et que j’ai transmis à Lena, pour traduction, Tatiana explique où le concert aura lieu. J’ai compris que ça se trouvait dans le centre culturel de l’université technologique de Novossibirsk, rien de plus. Avec Lena, on avait imaginé une ambiance de club et, de mon côté, j’avais espéré écouter Tatiana et échanger quelques mots avec elle. Arrivés à l’adresse indiquée, on s’aperçoit que  non seulement ce n’est pas un concert de Tatiana, mais qu’en plus elle n’est pas là ! Je trouverai un mail à mon retour à Barnaoul, où elle s’excusait de ne pouvoir venir. 

 

Le concert présentait deux artistes en alternance : une poétesse, Marina Guerchenovitch, qui allait faire lecture de ses textes, et un auteur compositeur interprète, Roman Lankin. La salle n’était pas un club, mais une vraie salle de concerts bien équipée. Je me garderai bien d’émettre un avis sur cette lecture à laquelle je n’ai rien compris. Lena n’a pas émis d’opinion non plus, ce qui signifie qu’elle n’a pas adoré, mais qu’elle a quand même apprécié, sinon je crois qu’elle m’aurait suggéré de nous en aller. En revanche, le concert de ce Roman Lankin était vraiment bon, à mon avis, et à celui de Lena aussi qui, au départ, m’avait avoué qu’elle n’aimait pas la musique des bardes.

 

Arrivés en retard, nous sommes assis côte à côte, dans l’obscurité du fond de la salle, légèrement à droite. Les regards sont fixés sur l’un ou l’autre des artistes, le public est très attentif, aussi bien aux poèmes qu’à la voix du chanteur. Pendant la lecture du poème, je suis tenu à distance par l’obstacle de la langue. Mes yeux errent à gauche, à droite… A droite où se tient Lena… Peut-être n’est-elle pas si concentrée, elle non plus. Car lorsque ma tête se tourne dans sa direction, ses yeux me rejoignent bientôt, et elle me sourit. Et puis, dans un accès imprévisible, ma main va se poser sur la sienne… J’imagine qu’elle est surprise, ses mains n’ont pas bougé, mais elles ne s’écartent pas non plus. Nous restons ainsi, comme si le temps s’était figé… Devant nous Roman Lankin est à nouveau sur scène. Il chante une bossa nova de son cru. Son jeu est souple, rond, sa voix se glisse dans l’arpège suave et chaud. Soudain, imperceptiblement, comme s’ils s’éveillaient, comme s’ils revenaient à la vie, je sens les doigts de Léna bouger contre les miens. Tendrement… Je dois rougir tellement je suis ému, mon cœur bat. Nous perdons la notion du temps, les minutes s’allongent pour devenir comme des vagues. Nos doigts s’enlacent... Il me semble alors que rien de ce qui va être ressemblera à ce qui a été, qu’un univers s’ouvre, que nous tournoyons au rythme des notes, étourdis. Deux êtres nouveaux viennent de naître et le bonheur les avale dans un tourbillon…  

 

*     *     *

 

 Le lendemain, je propose à Lena d’aller faire une promenade au lac artificiel dont j’ai appris l’existence dans le livre de Colin Thubron. C’est à Akademgorodok, à une vingtaine de minutes de marche. Autant dire que Lena est ravie ! Par chance, le temps n’est plus à la pluie. Nuageux, certes, mais sans plus. Nous avons donc marché environ deux kilomètres, tantôt sur une rue bordée de propriétés boisées, tantôt sur de larges trottoirs en lisière de forêt. A Akademgorodok la forêt est partout ! Puis nous avons dû traverser une passerelle couverte et ne laissant filtrer, à travers un plexiglas teinté, que la lumière bleue. Lena m’a dit que nous traversions la route que je prendrais le lendemain pour Barnaoul... 

 

   

 

Après avoir suivi un chemin dans la forêt, nous sommes arrivés à…. La MER ! 

 

 

  Oui ! Une grande plage de sable fin… un bâtiment servant de bar et de location de voiliers… des allées en bois sur le sable… des tonneaux parsemés pour faire des feux… et puis les vagues… le vent tiède qui fait voler les cheveux des filles… et puis l’eau à perte de vue !...

 

A l’horizon, en face de nous, une petite île couverte d’arbres. Au-dessus, une percée de lumière à travers les nuages. Les rayons tombent en pluie sur l’eau et l’île ressemble à une apparition. 

 

 

La grande plage cède sous nos pas, le sable est léger, souple. De ça, de là, une souche git sur le sable, blanchie par la langue de l’eau. Une de ses extrémités est parfois noircie par le feu. Sur le littoral, les vagues sont réelles et l’effet est vraiment confondant : j’ai l’impression d’être sur la Presqu’île de Quiberon, face à la baie de Carnac! J’ai même cru, au début, qu’il y avait des rochers au bord de l’eau, au loin, comme en Bretagne ! Mais là je me suis fourvoyé : pas de rocher mais une compacte et haute forêt en lisière de l’eau, qui ressemble à une falaise…

 

Je suis en extase devant cette Mer d’Ob dont je ne vois absolument pas, en face, l’autre rive. Le vent dans nos cheveux, le bruit des vagues…. Il ne manque que les mouettes ! Mais les mouettes sont absentes. C’est bien dommage car, sur le sable, je découvre un certain nombre de poissons morts dont les mouettes se régaleraient et feraient un peu de ménage. Lena me dit que ce n’est pas un bon signe pour la qualité de l’eau. L’été, poursuit-elle, la plage est pleine de monde et beaucoup de gens se baignent. Mais ce n’est pas rare qu’on attrape une allergie. Ca part rapidement, mais ça témoigne quand même que l’eau est polluée... 

 

   

 

Nous allons marcher longtemps sur la grève, dépassant un groupe d’étudiants qui discutent en riant devant un feu. Plus loin, une femme fixe l’horizon, assise sur un banc, en contemplation. La forêt peu à peu se rapproche de la berge, jusqu’à ce que la frange de sable ne soit plus assez large pour que nous puissions continuer. Alors nous devons prendre un sentier dans la forêt. Lena me montre des argousiers sauvages et nous en cueillons quelques fruits, petites boules jaune-orange pleines de vitamines C …

 

   

 

Cette promenade enchantera ce dimanche après-midi. Des airs de Léo Ferré me viennent en mémoire :

 

« La marée, je l’ai dans le cœur, qui me remonte comme un signe… »    

 

Le bonheur continuait sa route, nous avions deux corps, quatre jambes à son service…. 

 

« Oh fille verte de mon spleen… »

 

 

 

Lundi matin, avant le retour à Barnaoul, rendez-vous à l’alliance Française de Novossibirsk. J’y rencontre son directeur,  Gregory Milogoulov, qui va m’accueillir très chaleureusement. 

 

Il a commencé à lire mes Carnets de Sibérie et me dit qu’il est très favorablement surpris de  cette initiative. Il me dit que, d’habitude, les coopérations entre deux régions reposent seulement sur des bases économiques, alors qu’avec ce projet, la coopération va bien au-delà et un vrai dialogue culturel se développe ! Ce qui, pour lui, est une vraie première en Russie. Il me dit : « c’est comme en chimie. Il y a des atomes qui ont la faculté d’accueillir un grand nombre de d’électrons autour de leur noyau, et cette capacité leur donne un fabuleux pouvoir à évoluer, à se complexifier et à s’enrichir. Eh bien, je pense que ce projet entre la Région de Franche-Comté et la Région d’Altaï pourrait inspirer d’autres régions de France qui pourraient s’associer avec d’autres régions russes pour aller au-delà de l’économique pur et développer une vraie connaissance mutuelle ! »  

 

Il est aussi enthousiaste sur ce qu’il a pu lire. Il reconnaît en ma démarche une découverte objective, hors de tous ces clichés sur la Russie qui vont bon train en France. Il me donne l’exemple d’un livre ayant pour titre « C’est ça la Russie » et qui a été réalisé par un journaliste. « Je ne sais s’il y a des gens qui ont envie d’attirer le succès en mettant les pieds dans tous les clichés que se font les Français sur la Russie, mais ce livre en semble un résumé ! Et puis le titre,  « C’est ça la Russie », comment peut-on faire une pareille  affirmation! En le lisant, je me suis dit qu’après ce livre, plus aucun français n’aura envie de prendre le risque de venir en vacances en Russie ! »    

 

Le livre se trouva devant moi. Il continua « Donc vous comprenez que je suis ravi que vous ne soyez pas sur ce chemin là ! Parfois votre texte est drôle, mais toujours à l’écoute des gens et objectif ». Je ne voulais pas le contredire, moi qui ai toujours affirmé que je détestais les clichés et qu’il n’y a rien de plus réactionnaire que le cliché. Mais, en même temps, je lui dis que mon but n’était pas d’être objectif mais subjectif. Que je décrivais la Russie à travers ma culture, mon idée de l’homme, la philosophie que j’essaie d’appliquer à ma vie. Evidemment, cette subjectivité va plutôt vers la sympathie que vers la critique. Si la Russie a des luttes à mener, des espaces de liberté à conquérir, elle le fera bien sans moi. Mais il me semble important, dans un pays où la subjectivité est hésitante, tellement ce pays est grand, et tellement un être peut se sentir négligeable dans cette immensité, - il me semble important que le ton soit celui de la subjectivité, comme une ode à la valeur de l’être, à l’importance de chaque homme. Une subjectivité aimable certes, ouverte à la rencontre, à l’échange, à la découverte et à la curiosité.

 

Etre subjectif, à mon sens, n’est pas une affirmation aveugle de soi. C’est se définir comme une identité qui, dans le processus du voyage, va à la rencontre d’autres identités. Et le livre, - autre réaction chimique ! - sera le résultat de l’impact entre ces identités. Une vision qui me semble beaucoup plus dynamique que la notion d’objectivité.    

 

Mon week-end était terminé, Léna m’avait attendu sous la pluie car, me dit-elle, le bar où elle avait pensé m’attendre ne lui avait pas plu. C’était comme un jeu de mots… Elle m’a accompagné à la gare routière, avec cette même attention que tous les Sibériens que j’ai croisés. Car oui, les Sibériens sont attentionnés, ils prennent si bien soin de vous… J'étais en souci que, par ma faute, elle arrive très en retard à son travail….

 

Sur la ville, le ciel était gris. Il pleuvait. Cependant, malgré la tristesse de ce lundi d’automne, et comme dans une chanson de Léo Ferré, « quelque part, dans un pays doux… » un soleil brillait…


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Mardi 9 octobre 2012, Topolnoïe

 

Réunion lundi matin à l’agence Okhota, avant un nouveau départ pour une semaine. Avec Tatiana, on parlera surtout de la semaine suivante qui sera particulière pour elle et Valery et leur fait un peu de souci…. Mais chuutt ! Surprise ! Soyez patient, je ne vais pas tout vous révéler comme ça !

 

J’étais content, d’autant plus que j’avais devant moi le permis de conduire qui venait d’arriver par la poste ! Merci Nathalie, ma petite sœur, qui me l’a envoyé la semaine dernière !

 

Du coup, je n'ai pas eu le temps de demander où on va cette semaine ! Valery est parti chercher mon nouvel interprète, Féodor, et, pendant ce temps, j’en profite pour travailler un peu…

 

A 11 heures je fais la connaissance de Féodor, qui n’a pas le niveau de Macha ou d’Andreï, mais qui va faire de son mieux, comme il le dit en entrant dans la voiture. T’inquiète pas, jeune homme, ça va aller !

 

Et à nouveau la M52, 170 kilomètres vers Biÿsk, puis un bout de Tchouisky Trakt, avant que l’on bifurque vers le Village de Strostky, le Village natal de Vassili Choukchine.

 

D’entre les célébrités nées en Altaï, Choukchine est le seul que j’ai retenu. J’ai décliné la proposition de visiter le Musée d’un cosmonaute, Titov, car nous n’avons pas, en France, le culte de ces héros. J’ai décliné aussi celui d’une actrice Russe, Ekaterina Savinova. Si je n’ai pas, en France, le culte des stars, ce n’est pas pour l’avoir ici. Et puis, pour apprécier un musée consacré à une star, il faut déjà la connaître. Sinon, quel est l’intérêt ? C’est peut-être aussi la limite du star system : vous enlevez la publicité et il ne reste plus rien…

 

J’ai déjà parlé de Kalatchnikov, que j’ai aussi décliné. Pour moi Kalatchnikov est une mitraillette. Et une mitraillette sert à tuer. Quel plaisir aurais-je à visiter un musée consacré à une machine à tuer des gens ? Alors laissons le technicien qui a inventé cette arme prendre tranquillement sa retraite, et n’en faisons pas plus un héros que celui qui a dessiné les plans de la  magnifique machinette à café que j’utilise en France chaque matin et dont, cependant, je n’aurais jamais l’idée d’aller visiter un Musée en son honneur en Italie !

 

Alors pourquoi j’ai accepté de visiter le Musée de Choukchine ? Il est pourtant inconnu en France ! Simplement parce que Christine Garnier m’avait dit tout l’intérêt qu’elle portait à cet auteur ? Non, pas seulement. Parce que je pense qu’il existe un lien très fort entre cet auteur, réalisateur, comédien, et le pays que j’explore.

 

On connaît le snobisme de tous les habitants des capitales, qui ont toujours tendance à regarder les provinciaux avec un air condescendant. Les parisiens sont assez experts en la matière dans un pays qui n’est cependant que trois fois plus gros qu’une seule d’entre les 83 régions de la Fédération de Russie ! Donc on peut imaginer la fierté d’un Moscovite et le regard qu’il va porter sur un artiste venu du fin fond du pays ! Et, de plus, issus d’une famille de paysans ! Alors, comment ce fils de paysan est-il devenu un des hommes les plus populaires de Russie ? Comment ? En restant lui-même toute sa vie, et en mettant, au centre de son œuvre, ces Sibériens qu’il a aimés et qui ont bercé son enfance…

 

Lorsque j’avais visité le Musée national de Barnaoul, j’avais découvert cette photo où l’on voit des étudiants de l’école de cinéma de Moscou. Au fond Vassili Choukchine et, à gauche, de deux ans son cadet, Andreï Tarkovski. Deux hommes très différents, je pense, mais qui partageaient cet attachement au monde de leur enfance, et particulièrement à leur mère, pour laquelle Tarkovski a écrit ce film hommage, son préféré disait-il, « Le Miroir », et avec laquelle Choukchine entretiendra un lien très proche toute sa vie puisque les deux pères qu’il a eus lui ont été enlevés pendant son enfance…

 

Choukchine au fond, Tarkovski à gauche...

Pourtant Tarkovski était le fils d’un poète célèbre, tandis que Choukchine était celui d’un paysan rebelle, arrêté à vingt-deux ans, puis envoyé dans un camp d’où il ne reviendra jamais… Ce qui fait que l’un est connu dans le monde comme un génie de la création cinématographique, cité par Ingmar Bergman comme étant l’inventeur de ce qu’il a recherché toute sa vie, « une écriture cinématographique de la même texture que nos rêves », tandis que l’autre, le Sibérien, est devenu l’un des hommes les plus connus de Russie, parce qu’il a exprimé « l’essence de l’homme simple de Russie ».

 

 

   En 1963 Choukchine rentre de vacances et est accueilli par toute sa famille et les amis du village de Strotski. Ils réalisent alors cette photographie. Le principe de cette vie de village se retrouve dans son film « Perchki Lavotchki », en français : « Poêle et Banc » où l'on voit tout un village s'inquiéter du départ pour la mer d'un jeune couple. Ils finissent par obtenir que le couple laisse au village son enfant. Cette peur de l'ailleurs, cette vision communautaire du village, seul lieu de vie possible, centre de la paix et de la sécurité, me semble un trait typiquement Russe.

 

 

Si Tarkovski était animé par une exigence extrême qui fait que chacun de ses plans est un chef d’œuvre, si une pensée d’un très haut niveau, dépassant largement le domaine cinématographique, l’anime, Choukchine semble avoir été porté par un charme particulier, qui a fait le succès de l’acteur, et une grande authenticité, qui a donné un contenu à ses créations.

 

Sa formation est hésitante. Orphelin d’un père et d’un beau père, on dirait que c’est tout un village qui l’a pris sous son aile, un village où il ne cessera de revenir, comme pour se ressourcer. Quelques jours avant sa mort il exprimait encore, lors d’un dîner chez l’auteur Mickaël Cholokhod, qu’il allait changer sa vie, ne plus vivre à Moscou mais dans un petit village…

  Un des derniers repas, chez le romancier Mickaël Cholokhod.

 

Choukchine étudie la mécanique automobile, à Biÿsk, études qu’il interrompt pour revenir au village y étudier, seul, la littérature. Il passe ensuite, en candidat libre, un examen de langue et de littérature russes, diplôme qui lui donnera le droit d’enseigner. C’est ainsi qu’il devient professeur, dans son village, à Strostky, et même, très vite, Directeur de l’école. Le Musée que nous visitons a été installé dans son ancienne école.  

 

 

Il est évident que le jeune homme se cherche. Comment se retrouve-t-il à l’université nationale de cinéma, la célèbre VGIC ? Il semble que la guide ait sauté une étape puisqu’elle parle déjà du premier film dans lequel Choukchine jouera. C’est en 1958 et le film est de Féodor. Un second, un troisième film comme acteur et, en 1960, l’année d’« à bout de Souffle », il réalise son film de fin d’études, un court métrage où Choukchine sera auteur, réalisateur et auteur. Les jalons sont posés. Ses meilleurs films seront tirés de ses propres nouvelles, et il y tiendra le premier rôle…

 

J’ai vu deux films de Choukchine en Russie. En Russe, car ils n’ont jamais été distribués en France et je ne pense pas qu’il existe de version sous-titrée en Français. En revanche, j’ai réussi à trouver deux recueils de nouvelles traduits en Français. Dans ces quatre œuvres le sujet est le même : l’homme de province. Un homme du peuple, avec ses naïvetés, son humanité et ses failles.

 

 

     « Perchki Lavotchki », en français : « Poêle et Banc », réalisé en 

 

 

  Kalina Krasnaïa, "L'Obier Rouge", réalisé en 1974 d'après la nouvelle homonyme de l'auteur. L'idée de ce film a été inspiré de la vi-

  site qu'avait fait Choukchine à une prison pour mineur à Biÿsk. Ce film a reçu le prix du film d'URSS en 1974.

 

Maintenant, je ne sais plus où aller… Dois-je commencer une rubrique présentant l’ensemble de l’œuvre de Choukchine ? Et dois-je présenter cette visite de Musée, très liée à la biographie de l’auteur, pour des lecteurs qui n’en ont jamais entendu parler ? Je me sens, en fait, assez mal à l’aise… Et je ne pourrais, honnêtement, conseiller la visite de ce musée pour un français, car, sans avoir vu aucun film, lu aucun livre, le résultat risque d’être terriblement ennuyeux…

 

Alors il faudrait, en fait, commencer par le début. Et proposer qu’un éditeur se penche sur le sujet, décide d’y ajouter des sous-titres français et en relance la commercialisation. Pourquoi pas une œuvre intégrale ? Tarkovski en a déjà deux… Ou alors vous conseiller un visionnage du film avec une amie Russe qui vous en traduira les dialogues principaux… Alors, oui, si elle aime ses films comme Lena les aime, elle vous convaincra du bonheur de regarder ces œuvres authentiques, comme ce très connu « Kalina Krasnaïa », l’Obier Rouge, ou comme celui qui a inspiré la statue que l’on peut voir au-dessus du village de  Srostki, « Perchki Lavotchki », en français : « Poêle et Banc ».

 

Je me suis rendu compte que le sujet principal de l’œuvre de Choukchine, c’était le village, et, dans le village, la maison traditionnelle russe. La question qui me vient est donc celle-là : comment les Russes peuvent-ils aimer autant Choukchine et, en même temps, avoir honte de leurs maisons traditionnelles ? J’ai donc demandé qu’on puisse visiter la maison de la mère de Choukchine, là où l’auteur a passé son enfance. Le gardien a ouvert la maison spécialement pour nous. Et, en voyant sa machine à écrire dans sa petite chambre, j’ai compris pourquoi Choukchine aimait tellement travailler ici : la paix, l’intimité, la chaleur y sont encore sensibles. Mais il manquait à cette maison une vie, des habitants… La mort de Choukchine semblait avoir tout figé…

 

 

  La chambre de Choukchine, dans la maison de sa mer. Et le salon, avec la belle télévision que le fils avait offert à sa mère !

J’avais souhaité aussi visiter la maison au bord de la Katoun, où a été tourné « Poèle et banc »… Mais nous n’avions plus le temps, on nous attendait à Topolnoïe et il restait encore pas mal de route…

 

Je suis donc parti un peu frustré. Quelque chose me manquait… Le rendez-vous n’avait pas eu lieu…

 

Mais, la vérité, c’est que la vie d’un auteur se trouve dans ses œuvres, et non pas dans les meubles, les maisons, les villages que la mort l’ont poussé à déserter… De plus, sorte de trahison, Choukchine a été enterré à Moscou… C’est peut-être cela qui manque… L’âme de Choukchine n’est jamais revenue dans son village, qui a nourri pourtant toute son œuvre… Et le village criera infiniment son absence, - après un père mort au Goulag et un fils abandonné dans un cimetière à Moscou… Le village est en deuil : on lui a volé ses enfants….

 

Lorsque je reprocherai à Valery de ne pas rester davantage à Stotsky, il me répondra : « Monsieur, on peur revenir ici quand vous voulez, mais je crois que vous serez toujours déçu. Il n’y a plus rien maintenant à Stotsky » Je pense qu’il avait raison, surtout que je ne savais pas encore que nous allions vers un village authentique... Mais, pour l'instant, le soleil se couchait sur notre droite, et la voiture s'enfonçait dans la nuit....

 

 

 


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Mercredi 10 octobre 2012, Tcharichskoïe

 

La vie, elle nous attendait dans le village de Topolnoïe. Mais d’abord nous nous arrêtions devant le bâtiment administratif du chef-lieu du canton, la ville de Solonietchnoïe. Après quelques minutes d’attente dans le noir, nous sommes rejoints par Tatiana (il y en a beaucoup), et Peter, un grand homme mince au visage osseux, percé de deux yeux passionnés d’un bleu pervenche et d’un sourire sympathique. Ils nous guideront jusqu’au village, à une vingtaine de kilomètres de là. 

 

En route vers le village, je vais découvrir ma première piste (route non goudronnée) de Russie. Mais ce ne sera pas la dernière !  

On arrive à faire du 60 à l’heure, mais parfois il faut piler, car une ornière se jette sous vos roues. Parfois les amortisseurs claquent, parfois une forte vibration vous traverse la colonne vertébrale. Mais ça va, on avance tranquillement, kilomètre par kilomètre…

 

Après une vingtaine de minutes de ce mauvais traitement, on s’arrête au milieu d’un long village. Les réverbères sont rares. A notre droite une barrière de planche et, derrière, une lumière fait apparaître un petit verger, puis une belle et vieille isba. Il faut prendre nos bagages. Nous sommes arrivés ! Il est au moins neuf heures…

 

Et là je m’avance vers une de ces maisons que je guette depuis que je suis en Russie, et dans laquelle je vais bientôt entrer ! Je suis très impatient ! Une dame nous accueille, Victoria. Sous ses airs discrets j’apprendrai bientôt qu’elle cache un trésor d’humanité et d’intelligence. Pour l’instant elle tient son rôle d’hôtesse et nous fait entrer dans la maison. Peter, dont j'ai appris qu'il travaillait dans le tourisme mais qu'il était aussi chargé de surveiller l'équilibre écologique de la région, nous a expliqué que Victoria et son mari louaient ainsi trois maisons. Chaque maison peut accueillir six personnes, et la location revient à 250 roubles par personne. Environ 6,50 euros.  

 

  La maison d'Helena et, en face............................................................................. le Banya

 

  A l’entrée, après la véranda ouverte,  tout le monde enlève ses chaussures sur le seuil de la maison, comme c’est la règle absolue en Russie, et dans presque tous les pays slaves. Mais vous n’avez pas à les regretter. Une maison russe est un lieu chaud et intime. Quand vous y êtes entrés, c’est difficile de sortir… C’est pourquoi, peut-être, on n’invite pas n’importe qui à entrer pour un café de deux minutes, comme on a plus facilement tendance à le faire en France.

 

 

Tatiana et Peter

 

  Sur le sol, partout, des tapis. Les meubles ne sont pas nombreux, le sol n’est pas embarrassé. Les murs non plus, excepté, une étagère en bois noir surmontée d'un rayonnement entouré de tissus clair brodé qui encadrent deux icônes. Il y a aussi, derrière un lit qui peut servir de canapé, des tapis muraux. Au plafond, un enduit blanc, peint à la chaux, d’où pendent de rares ampoules, nues, sans lustre.

 

 

 

Je n’ai pas précisé que la maison est entièrement en bois. Des billes de pin empilées les unes sur les autres. Seule la bille du bas est creusée en biseau, ce qui permet à la bille du dessus de s’y emboiter. L’épaisseur des murs est donc celle des billes de bois, trente, quarante centimètres. On se demande comment ces quarante centimètres arrivent à faire obstacle aux moins cinquante des nuits d’hiver ! Je ne pensais pas que le bois était à ce point isolant !

 

Sur la petite table, à côté du poêle, une foultitude de gâteries nous attendent, différents petits pains fourrés ou enduits de sucre, les soupes, les poissons, les pommes de terre, miel, confitures, et de somptueuses et énormes tomates, dont on me dit être des cœur de bœuf, mais qui sont, je crois, plutôt ce qu’on appelle des tomates russes, pour moi les meilleures tomates du monde, énormes, charnues comme des steaks, et d’un goût délicat… Bien sûr, tout ce qu’il y a sur la table est sorti du jardin ou des rivières des environs ! Les gâteaux sont faits maison…. Rien que du bonheur… Nous mangeons tous ensemble, il fait chaud…

 

   

Tatiana finit de préparer le repas Tandis que le "Petchki", le poêle, chauffe toute la maison.

 

Mais, au fait, comment chauffe-t-on ces maisons du grand froid ? Avec ce que les Russes appellent « petchki », et que, faute de mieux, nous traduirons pas poêle, comme nous l’avons déjà fait pour le titre d’un film de Choukchine. Mais ce poêle mériterait d’avoir un nom que pour lui, tellement il ne ressemble pas à un autre poêle… Déjà il est énorme, du sol au plafond, et a été conçu pour récupérer toute la chaleur produite par le foyer. Il fonctionne au bois (en Sibérie, c’est une évidence) et il chauffe toutes les pièces de la maison. Ce poêle là n’est pas une pièce rapportée qu’on pourrait, à l’occasion, revendre pour en acheter un plus récent. Car il est totalement intégré à la maison, c’est le cœur de la maison. En façade, il fait penser à la cuisinière au bois qu’utilisait ma grand-mère. Deux trous par-dessus fermés par des cercles concentriques en fonte. On peut enlever les cerceaux pour pouvoir placer une casserole en contact avec le feu, comme j’ai souvent vu faire ma grand-mère, ou bien pour pouvoir mettre du bois ou divers corps inflammables par le dessus. Un petit four sur le côté aussi. Toute la partie métallique ressemble donc aux cuisinières des fermes françaises. C’est le reste qui diffère. Car la partie métallique est reliée à une partie en briques, où les fumées vont aller retrouver la cheminée. Sauf que dans cette pièce massive de brique, les conduits de fumée vont former une multitude de serpentins qui vont permettre de récupérer la chaleur des fumées. Tout cet énorme bloc, profond de presqu’un mètre et haut d’un mètre cinquante, va se charger de chaleur toute la journée. Ce qui fait que, lorsque le feu s’éteindra dans la nuit, cette réserve de chaleur évitera que la maison ne se refroidisse trop. De plus, cette énorme masse de briques est en contact avec chaque pièce. Dans cette maison il y en a trois. A la place du mur, sur environ un mètre carré, affleure dans les deux chambres une partie de cet énorme poêle. Enfin, au-dessus du poêle, se trouve une sorte de placard, entouré d’un rideau, où, au cœur de l’hiver, on fait dormir les enfants…

 

Vous pouvez essayer d’imaginer une petite seconde l’impact sur l’inconscient que peut laisser ces premières années à dormir dans le corps chaud du « Petchki » ? - Et si c’était lui qui reliait les sensibilités de Tarkovski et de Choukchine ??

 

Après le repas, Valery me dit plusieurs fois « Monsieur Tristan, now Bania ! Bania ! L’aventure Monsieur Tristan, l’Aventure ! » Je dus m’excuser. J’irai au Bania plus tard, après avoir travaillé un peu. D’abord je préfére que la température ne soit pas trop chaude, et puis j’ai bien envie d’un peu d’intimité dans ce lieu chaud.

 

Le banya est donc installé dans un bâtiment en bois, copie réduite de la maison. Celui là ne comporte que deux pièces. La première est plus vaste et a une température équivalente à celle de la maison. L’entrée du foyer ne se fait pas depuis cette pièce, comme je l’ai vu parfois. C’est un poêle entier qui se trouve dans la partie chaude, - le sauna si l’on veut… Il n’y a pas, traditionnellement d’eau courante dans les banya. L’eau se trouve dans des cuvettes, des seaux. Et le poêle contient un réservoir où on puisera l’eau chaude. D’ailleurs, traditionnellement, il n’y a pas d’eau courante dans la maison traditionnelle russe. Il y a un puits, comme c’est le cas ici, au milieu du verger, face à la maison. Et, au-dessus du puits qu’on est obligé de fermer pour éviter le gel et la pollution, une pompe à bras. L’eau contenue dans les bassines, seaux divers, vient de là.

 

Denier détail concernant le banya : le massage au rameau de bouleau. J’en ai déjà parlé. Finalement on finit par s’y mettre et à aimer ça ! Autre détail que j’ai appris : le banya combat les infections de la peau, et tue les tiques. Il faut savoir qu’au début de l’été ces parasites sont monnaie courante et peuvent transmettre des infections qui peuvent être mortelles. Or les tiques meurent à 50 degrés. Dans ce cas un banya peut vous sauver la vie. Une douche, non…

 

Je profiterai de la solitude du banya, alors que tout le monde dormait, pour faire l’auto-portrait nu de ces cahiers. J’en avais fait un, en 2010, pour les Carnets de Russie, ce sera donc le coup de griffe de ceux-ci !

 


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Jeudi 11 octobre 2012, Topolnoïe

Au petit matin nous attendait un petit déjeuner copieux, préparé par la mère d'Elena, Polina. Des Pirochki, petites viennoiseries proches du pain au lait, des blinis (crêpes) fourrées au fromage blanc ou à la compote, mais aussi une omelette, du cacha (une bouillie de céréales), du miel, des super confitures maison etc… Je suis allé auparavant au banya, où la température était encore très agréable, me laver d'une eau tiède et me raser. Tatiana et Sergueï nous ont rejoints.

Le premier objectif de la journée était la visite d'un groupe folklorique animé, me dit-on, par Elena, notre hôtesse. Nous nous sommes garés près d'une grande isba bleue et blanche, à deux kilomètres environ de notre maison. Tandis que nous contournons la maison j'aperçois, sur un perron abritant l'escalier, un groupe de femmes en habits folkloriques. Dès qu'elles nous aperçoivent, elles se mettent à entonner une chanson à plusieurs voix. Cette chanson a été écrite pour accueillir les visiteurs. En musique, on nous invite à monter les marches du perron et à pénétrer dans l'isba.

Le groupe a été monté par Elena après ses études à l'institut des arts de Barnaoul. C'est là qu'elle a travaillé sur la captation de chansons populaires du canton de son village. Elle est allée trouver des anciens qui lui ont interprété les chansons qu'ils se rappelaient encore. Un bon nombre de chansons enregistrées, elle a pu, avec des femmes du village, monter cet ensemble pour voix seules, exclusivement féminines.

   
   

Après une chanson interprétée dans la pièce principale, capable d'accueillir notre petite équipe, une des femmes, apparemment la plus jeune, commence à nous faire une présentation de leur groupe, et surtout de la maison. Celle-ci a été construite en 1940 pour tenir lieu de Mairie. Elle a été réalisée en deux bois différents. En bas, les fondations et le premier niveau sont en bois de Mélèze qui est un bois lourd et très résistant à l'eau, au gel et au temps. Puis la partie haute est en bois de pin, lequel est plus léger et plus calorique. C'est ainsi que je vais découvrir ce qu'est le Mélèze, une sorte d'épicéa qui perd ses aiguilles en automne. Il y en a beaucoup dans les montagnes. On en verra sur mes photos, facilement reconnaissables parce qu'ils sont les seuls sapins à prendre la couleur jaune en cet automne…

En 2005, la Mairie décide de déménager. C'est alors que la Maison bleue adossée à la colline va se transformer en un centre de transmission de ce folklore local pour les enfants. En gros une école de musique juste un peu spécialisée. Voici l'exposé terminé, les femmes sont à même, maintenant, d'interpréter : "Le voile de la vierge…""

Je resterai sous le charme de ces voix très accordées et de ces femmes si sympathiques. Elena pouvait être fière de son œuvre de conservation. Qui sait, si ce groupe n'existait pas, et si elle n'était pas allée à temps enregistrer ces chansons, si la télévision, comme la pire des armées culturelles, n'aurait pas définitivement éliminé ce si joli folklore…

Une chose m'a particulièrement surpris alors que l'on m'expliquait le rituel d'une chanson de mariage. Car un folklore est aussi une mémoire des usages, des coutumes, notamment en ce qui concerne les événements majeurs de la vie : naissance, mariage, enterrement. On m'explique donc que, pendant la chanson qui vient, la femme va montrer à son mari ses cheveux pour la première et pour la dernière fois… Les deux mariés sont à genoux. Devant eux on a placé un grand châle. La chanson commence et on remonte le châle, masquant ainsi les mariés aux yeux de tous. Derrière le châle, et alors que les autres femmes chantent, on retire à la mariée le foulard qui lui cache les cheveux. Et le marié pourra voir ainsi les cheveux de sa future femme. On la peigne, et on lui remet un nouveau voile identique à celui que portent les chanteuses du groupe. A partir de ce moment, l'homme, et quiconque d'autre, ne verra plus jamais les cheveux de la femme. Même la nuit elle devra porter la « chachmoura », un voile de nuit. J'entendrai aussi parler du drap qui sera examiné la nuit des noces pour vérifier que la femme est bien vierge. Et du mélange de sang de poulet et de je ne sais plus quoi pour faire croire à une virginité qui s'est déjà envolée. C'était donc très impressionnant de constater que cette pratique était si proche des rituels musulmans ! Dans quel sens les hommes et les femmes, de l'orient à l'Afrique se sont-ils influencés ? Quel mystérieux monde que celui des êtres humains….  

Il me faut mentionner, longtemps après, une petite précision. L'interprète n'a pas su me faire comprendre, ou j'ai été distrait, que le village d'Elena fait partie dun ensemble de trois villages vieux-croyants. La sévérité de ces pratiques étaient donc liées aux anciennes pratiques orthodoxes, venues de la religion orientale de Constantinople. D'où peut-être des similitudes de pratiques avec les musulmans.

Nous sommes retournés à notre maison pour déjeuner, après avoir été salués par une dernière chanson sur le perron de la maison bleue et blanche. J'avais été fasciné par ces chants, par lhumanité qui s'en dégageait et par la gentillesse, par le charme naturel de ces femmes. Oui, la Russie peut être fière de ses femmes. Toutes en douceur et en intelligence, en grâce et en modestie.

Pour l'après-midi était prévue la visite de la grotte de Denisova. Depuis Topolnoïe, notre village, la grotte se trouve à une trentaine de kilomètres de piste à travers la montagne. Le soleil brillait, mais de nombreux nuages découpaient ses rayons, rythmant le paysage de zones d'ombre et de lumière. Et quel paysage ! Irrésistible ! Jai photographié passionnément cette nature automnale sous cette lumière vivante, chaque minute différente. Une lumière qui donnait à ces verts, ces marrons, ces jaunes dorés, mais aussi à l'argent des rivières, aux bleus des lacs creusés par l'homme pour en extraire de l'or qui pullule dans ces montagnes, une force lyrique, passionnée, une farouche beauté.  

                                    

 

 

 

Nous avons suivi la piste jusqu'au totem qui indiquait la frontière avec la République d'Altaï.

 

 

 

 

 

 

 

Puis nous sommes retournés sur nos pas jusqu’au village des scientifiques. Car, depuis que la grotte de Denisov a été classée comme un centre majeur d’intérêt archéologique, les révélations des fouilles, menées par l’institut d’histoire archéologique et ethnographique de Novossibirsk en ont fait un site mondialement réputé. Le village a donc permis d’accueillir, pendant leurs recherches sur le site, des savants du monde entier.  

Nous avons garé la voiture au bord du ruisseau que longe la piste. Depuis la route on m'a montré l'ouverture de la grotte, à flanc de falaise. Chaussé des nouvelles chaussures que Valery et Tatiana m'avaient achetées l'avant-veille, l'ascension du sentier fut un jeu d'enfant. Quelques escaliers et passerelles en bois permettent d'accéder à l'entrée de la grotte. L'ouverture est aujourd'hui assez vaste, permettant à la lumière du jour d'en éclairer l'intérieur. La première salle est ample et plusieurs galeries partent de ce grand hall et s'enfoncent dans la roche. Si on lève la tête, on aperçoit, à une vingtaine de mètres plus haut, une sorte de cheminée ouverte sur le ciel. C'est cette disposition particulière qui a fait le succès de cette grotte. Elle a quand même été habitée pendant 300 000 ans ! Originalement, la grotte n'avait pas cette grande ouverture que l'on voit aujourd'hui. Ce sont les archéologues qui l'ont creusée, lui ajoutant deux mètres cinquante de hauteur, afin d'y faire entrer leur outils et différentes machines. Donc entre une cheminée qui permettait d'évacuer la fumée des feux, et une petite ouverture facile à obstruer, pour l'isoler du froid, la grotte offrait un lieu chaud, vaste, permettant d'accueillir les hommes et leurs troupeaux.

 

          

C'est ainsi que les fouilles ont révélé 22 niveaux culturels différents, dont le premier remonte à 2 millions d'années, alors qu'un climat subtropical a été identifié par les ossements et résidus de pollens découverts dans les couches les plus profondes. 170 sortes d'animaux ont laissé des fossiles : des ours des cavernes, des rhinocéros, des ânes, des bisons, des chevaux sauvages, des loups roux, des yaks, - mais aussi du bambou, des œufs d'autruche…

 

Je n'ai pas précisé que Vika, une professeur d'anglais qui avait soigneusement préparé notre visite, me fait office de guide. Elle est professeur d'anglais mais n'est jamais allée dans aucun pays où l'on parle cette langue. C'est pourquoi elle était très inquiète de savoir si je pourrais comprendre son accent anglais. Il était bien meilleur que le mien! Elle a avec elle un grand texte de présentation de la grotte qu'elle me lit avec une grande conviction. A cette époque de l'année, les guides qui travaillent généralement sur le site ont déserté les lieux.

Enfin, Vika me parle de cette trouvaille de 2010. Un doigt d'un étrange hominidé. On a pu extraire un peu d'ADN de ce fossile et l'examiner. Et il est apparu que ce type d'humain n'était pas un Néandertalien, ni un homme de Cro-Magnon, mais un type nouveau, très proche de certains indigènes indonésiens. Ce type nouveau de cet ancêtre de l'homme a été appelé homo altayansis (en fait, plus tard il est devenu l'homme de Denisova). Evidemment, il remet en question pas mal de certitudes, ce qui passionne le monde des archéologues et des ethnologues. Cest ainsi que la grotte a été classée par l'UNESCO, avec ces 80 000 objets déjà trouvés, comme un des plus importants sites archéologiques du monde…

On est un peu au-delà de l'imaginable : toutes ces masses d'années, tous ces hommes, toutes ces cultures, ces changements climatiques… Une sorte de vertige devant un gouffre de temps… L'espèce humaine qui remonte ici dans les strates de son évolution, qui se rapproche au plus loin dans le temps vers son animalité pure, et qui, déjà, n'était plus un mammifère comme les autres, mais un animal avancé qui allait inventer, par souci de survie, un savoir, une organisation, des outils, des techniques, et qui allait apprendre aussi à asservir une partie de la nature, en découvrant l'élevage, en maîtrisant le feu et en inventant peu à peu la chimie, la cuisson, la fusion des métaux… Et Dieu dans tout ça ? Une autre invention de ce fabuleux animal ?… Mais je ne demande pas à tout le monde d'être d'accord avec moi. Je laisse chacun vivre avec ses convictions…

Au retour, le paysage était peut-être encore plus beau qu'à l'aller. Les trouées de lumières étaient violentes et offraient un magnifique relief au paysage. Nous nous arrêtions régulièrement pour prendre des photos. Avec Valery nous avions conclu qu'il s'arrêterait dès que je dirais stop !

Nous avions tous la conscience de vivre un moment extraordinaire….

 

 

 

 

 

Vendredi 12 octobre 2012, Tcharichskoïe

 

Avant de quitter notre maison, à Topolnoïe, j’ai accompagné Valery qui poursuit son « essayage » des lacs et des rivières d’Altaï. Nous avons pris chacun notre maillot de bain et sommes allés à la rivière qui s’appelle, comme notre écrivain célèbre, Anouilh. Comme quoi, il y a des noms propres qui viennent (peut-être) de très loin… L’eau était froide. Mais sous ce joli soleil, ce n’était pas désagréable. Valery précisa quand même que, dans une eau à cette température, un homme avait une durée de vie de 50 minutes. La baignade n’a donc pas été très longue on imagine !

 

 

Et puis nous sommes allés prendre nos affaires et avons salué Polina, puisque Elena était à son travail, elle est professeur d'anglais et travaille au secrétariat de l'école du village. Devant la maison une jument blanche broutait avec son poulain alezan.

 

 

 

Nous devions remonter vers Solonechnoïe pour bifurquer sur la gauche, en direction d'autres bouts du monde… Nous ne retrouverons plus de goudron sur cette route, sauf lorsque nous arriverons, le soir, à notre destination du jour, la ville de Tcharichskoïe. Après quelques kilomètres j’ai demandé à Valery de s’arrêter afin que je prenne en photo une vieille dame assise dans son jardin, à côté de sa maison. Il y avait de jolis parterres de fleurs, son isba aux fenêtres blanches et bleues, son foulard violet et sa robe à fleurs donnait à cet ensemble un air fleuri et joyeux. En me voyant la photographier, la vieille dame s’est levée pour venir vers moi. Je vis alors qu’elle avait beaucoup de mal et que, pour marcher, elle a du s’appuyer sur une canne dans une main, et un bâton dans l’autre. On s’est présenté et la dame nous a laissé rentrer dans l’enclos de la maison. Je lui ai demandé de poser à l’entrée de sa maison, là où il y avait le massif de fleurs pervenche qui pouvait très bien s’assortir à son foulard. Mais quand je l’ai vue arriver, si essoufflée, se battant avec ses deux cannes, j’ai regretté de l’avoir déranger… Mais elle a voulu nous montrer sa maison, se plaignant des difficultés qu’elle avait à l’entretenir, et de sa solitude… Et je pensais que ces maisons étaient dures à vivre, avec ce bois qu’il faut aller chercher, avec cette eau qui n’est pas courante, les bassines à remplir, l’eau à pomper, toutes ces choses, pour une vieille femme fatiguée, cela devait être si dur… Dans ce cas, oui, vivre dans un appartement avec le chauffage central, un évier, un lavabo, au rez-de-chaussée… Allez savoir ce qu’elle préférerait… Elle a un jardin si joliment fleuri…

 

  

Nous avons repris notre route, Valery savait qu’elle serait longue… Nous avons rejoint Solonechnoïe où, soudain, les téléphones portables se mirent à sonner les uns après les autres ! Du réseau ! On en a profité pour envoyer quelques SMS, ce qui ne fait pas de mal quand même… Et puis, quelques kilomètres plus loin, silence réseau à nouveau. Je me souvins avec amusement que, la veille, j’avais dû faire deux kilomètres dans le village pour envoyer un SMS. Trois adolescents m’avaient accompagné, essayant d’échanger quelques mots avec moi. Mais, le plus souvent, les mots frappaient à nos esprits comme à des portes de prison. Et le sens restait devant la porte… Mais bon, ça fait rien, les jeunes me parlaient quand même. Ils étaient contents de discuter avec un Français dans leur village et me regardaient amusés lever mon portable vers le ciel, presser sur envoi, attendre, jusqu’à ce que je dise « Merde, il est pas passé ! » Car le réseau venait, partait à sa guise. Et puis, il a semblé qu’un petit bâton restait stable, je pressai envoi à nouveau et m’exclamai « Ca y est ! » en voyant s’afficher « Message envoyé » sur l’écran. Les jeunes sourirent et firent demi-tour en même temps que moi... Il y avait donc un endroit, dans le village, où le réseau passait ! C’était comme dans un film de Tony Gatliff, sauf qu'ici, les voitures étaient à peine plus nombreuses au-milieu de la route, et il fallait quand même faire attention, la main levée et le portable en l'air, qu'un camion ne vienne pas vous faucher !

 

A nouveau la piste. Nous longeons des montagnes et des collines. La lumière est belle, toujours scandée de zones de lumière éclatante et de zones filtrées par les nuages. Je demande souvent à Valery de s’arrêter, il freine aussitôt car il a compris qu’une photo se fait à un endroit et à un moment précis. Quelques secondes de trop et les conditions ont disparu, la photo est morte. J’aime particulièrement lorsqu’une rivière vient percer d’argent et de bleu ce décor de montagnes vallonnées. Le jaune des bouleaux et des mélèzes rythme magnifiquement les verts des pins, des prairies et les bruns de la roche. 

 

 

Au loin à peine de brume donne de la profondeur à l’image, comme aux temps où les peintres italiens n’avaient pas encore retrouvé les lois de la perspective que, pourtant, les anciens de l’époque latine en avaient percé les secrets… Alors on mettait de la brume dans les lointains pour donner l’impression de profondeur….  

Heureusement que je n’avais pas à me poser tous ces problèmes ! La photographie a été inventée pour les oisifs qui n’ont pas l’habilité manuelle des peintres ! Il fallait juste régler la luminosité, ce que je fais toujours manuellement, vérifier que l’autofocus ne fasse pas d’ânerie et appuyer… Vérification… Mal cadré ? Problème de lumière ? Je recommence. Je n’aime pas recadrer les photographies après les avoir faites. Je suis d’accord avec Cartier Bresson : un cadre se fait à la prise de vue. Il n’y en a qu’un possible. Il est définitif.

  

Plus on avance, et plus une solitude étrange se dégage des endroits parcourus. Cette piste sans fin qui sillonne d’une montagne à l’autre… On n’a pas l’habitude de parcourir de si longues distances sur des routes comme celles-là. Et pourtant les kilomètres défilent. Et le compteur indique parfois jusqu’à 100km/h ! La Ford résiste aux vibrations, aux ornières, aux semis décollages lorsque la route s’est affaissée et qu’elle reprend soudain son niveau normal. Plus on avance, plus il semble que les endroits que l’on traverse sont invivables. Lorsque je sors prendre une photo, je sens l’air frais baigner ma tête nue comme le disait Rimbaud. Oui, c’est agréable car il fait soleil, mais ça commence quand même à être froid. Alors, comment ça doit être en plein mois de janvier ? Et plus on avancera, plus cette impression deviendra une évidence : l’hiver approche et il sera terrible….

 

Les moments d’émerveillement seront lorsque nous verrons devant nous, sur les bords et sur la route, un troupeau de très beaux chevaux, tous des chevaux de selle à la grâce souple et aux robes de feu, de soleil ou de ténèbres. Les poulains trottinent à côté de leur mère… Une fois, même, l’un d’eux s’était couché sur la route. Quel plaisir de le voir se relever, avec ses longues jambes gracieuses…

 

 

 

Souvent ces immenses paysages de montagne manquent d’un sujet, d’un motif principal… Tout est vaste, majestueux, vertigineux, mais rien pour focaliser le regard, pour stabiliser l’ensemble des lignes. C’est pourquoi, à travers la vitre de la voiture, je recherchais quelque chose que la lumière viendrait enflammer et qui ressortirais des teintes sombres du décor. Lorsque je vis sur notre droite un peuplier tout blanc qui semblait écumer de lumière je dis « stop !! » et Valery freina derechef ! Je sortis de la voiture et courus vers l’élégant arbre blanc. Il se trouvait au bord d’une rivière. Un peu plus loin se trouvait des chardons fleuris, avec leur masse de coton blanc offerts aux rayons du soleil. Ces éclats de blanc ressemblaient à des sourires…

  

Plus loin nous avons aperçu des hameaux complétements désertés, où les fenêtres béaient à l’air libre, où la moitié d’une maison semblait s’enfoncer dans le sol, comme l’isba était en train de chavirer… Et on se disait que la rudesse du climat avait fait fuir les habitants, à moins que ce soit un de ces plans de regroupements urbains qui, à l’époque soviétique, avaient forcé ces paysans à abandonner leur terre et leurs maisons…

 

Encore une heure ou deux et nous sommes arrivés à un étrange village… Au début j’ai photographié la première maison, attiré par la présence, devant, d’un très beau cheval sombre, dont les murs blancs de l’isba faisaient ressortir la tranquille élégance. Un chien hurlait quelque part mais ne s’approcha pas. En rejoignant la voiture je vis que Valery discutait avec une femme, habitante peut-être de l’isba. Je remarquai, par ses accents et l’intonation de sa voix, l’énergie joyeuse de cette femme. Et j’espérai un sourire où elle ferait briller ses dents en or. C’est curieux comme on finit par s’habituer à ce qu’on trouve un peu monstrueux au premier regard. Beaucoup de gens portent, par ici, ces prothèses.

 

 

 

Le village de Talmienka continue… Il semble blotti dans cette petite vallée…Je vais adorer ce village. Il s’en est dégagé une telle tranquillité ! Perdu dans cette montagne, il semble que rien ne pouvait venir perturber sa paix somnolente… Le soleil, tombant toujours avec cette lumière oblique qui bordait les contours d’une ligne blanche, soulignant les duvets, poils vibratiles, follicules, - tous ces imperceptibles détails d’une matière, d’un corps animal ou végétal. Alors, lorsque ce phénomène lumineux s’est appliqué à la tonsure de quelques cochons en libertés, tout à leurs conversations mammifères et à leur recherche, truffe à terre, de quelque succulente saveur, c’était un vrai miracle ! J’aime voir les porcs en liberté. Ces pauvres animaux le plus souvent esclaves toute une vie, dans des fermes à engraissage, pour que la si nombreuse population des humains puisse se nourrir de leur chair, c’est parfois une injustice insoutenable. J’ai beaucoup d’estime pour ces animaux, à l’air si maladroits, et dont ceux qui les élèvent humainement disent qu’ils sont une mine de fidélité et d’intelligence… Alors, lorsqu’on les voit ainsi vivre en liberté, on se dit que les gens qui habitent ici ne peuvent qu’être des gens aux valeurs humaines supérieures…

 

On doubla une très jolie adolescente qui marchait paisiblement dans le village. Elle portait des habits de ville bien aussi élégants que ceux que portent les filles de Barnaoul, de Novossibirsk et même, de Besançon ou de Paris. Le sens de l’élégance était aussi chez lui dans ce village perdu dans la montagne du sud de l’Altaï Kraï.

 

 

En faisant ces photographies, j’ai respiré à pleins poumons cet air pinçant mais que le soleil parfumait de chaleur. C’était si agréable… Je ne comprends pas toutes les raisons qui m’ont fait tant aimer ce village… Peut-être m’est-il apparu comme une apparition, si inattendu au milieu du vide de ces montagnes, et en même temps, si paisible, si naturellement posé là qu’il avait un air de miracle, - une allure de mirage plutôt…

 

 

  

A la sortie du village, un pont de bois franchissait le ruisseau. Valery, inquiet, demanda à Féodor de le guider et de vérifier que la traversée se faisait normalement. Le pont a tenu bon, sans un mauvais craquement. Nous laissions là ces cochons, ces chèvres, ces chevaux en liberté, ces jeunes filles gracieuses et ces maisons couchées contre le sol où il semblait que tout le monde faisait, tranquillement, la sieste…

 

Plus loin nous avons aperçu un cavalier qui marchait, suivi par son cheval. Je suis descendu pour le photographier, une centaine de mètres à flanc de montagne. Il s’est remis en selle et a suivi un sentier qui remontait vers la piste. Nous l’avons attendu un peu plus loin et discuté avec lui. Il allait à un village proche faire quelques provisions. Un gros sac était accroché derrière la selle. Il se laissa photographier avec patience, tout en discutant tranquillement avec Valery et Fiodor.

  

Plus nous avancions, plus les montagnes autour de nous semblaient hautes et vastes les vallées. Tout au fond devant nous allait se révéler quelques cimes couvertes d’un duvet blanc. Il avait commencé à neiger en altitude. Il semblait qu’on s’approchait d’eux, qu’ils étaient notre objectif. A l’horizon le soleil s’approchait très lentement des montagnes. 

 

 

 

Je suis surpris une nouvelle fois de la lenteur avec laquelle le soleil se couche par ici. Et puis, après l’ascension d’un col, nous avons découvert un superbe versant semé de chevaux, et où une ligne à haute tension, éclairée en contrejour, faisait comme un long serpent de lumière. Je sortis en tremblant mon appareil photo. Ce troupeau de chevaux, le tracé blanc de la route, la curieuse toile d’araignée horizontale des fils électriques, ces montagnes bordant cette immense enclave… J’avais l’impression que j’avais devant moi les rares ingrédients d’une vraie photographie… Est-ce que j’ai réussi ? Je l’espère. Car il est facile de restituer un beau paysage, mais il est plus difficile de faire avec un paysage une vraie œuvre photographique….

 

Un peu plus loin Valery se gara à côté d’une voiture. Deux hommes en sont sortis et sont venus parler avec notre guide. C’étaient deux hommes du village de Tcharichkoïe, qui, ne nous voyant pas arriver, s’étaient inquiétés et étaient venus à notre rencontre. On les a suivi pour arriver à une sorte de camping, ou de centre de vacances à la tombée de la nuit. Là nous avons rencontré le propriétaire du lieu, Dmitri. Après une visite des bords de la rivière qui coulait juste derrière la palissade en bois entourant le « camping », nous sommes revenus dans le camp, puis dans la voiture pour y prendre nos bagages. On nous indiqua un des chalets qui étaient pointus comme des tentes. A l’intérieur quatre lits alignés deux par deux. Mince, il nous faudrait dormir à côté de Valery dont j’avais déjà entendu, heureusement de loin, les ronflements retentissants ! Cette appréhension allait se confirmer pendant la nuit, qui fut courte pour tout le monde, les uns à cause de cette présence respiratoire, les autres à cause du froid qui allait y faire dans la seconde partie de la nuit. Il allait faire moins dix dans la nuit. Au réveil, on se rendra compte que le petit bassin décoratif au centre du camp avait gelé. L’hiver approchait….

 

 

 

 

Dmitri et sa charmante femme Alla nous ont reçu dans leur maison et nous avons dégusté de très bons poissons de ruisseaux, les « kharious », en Français, les "ombres". Ce sont des salmonidae qui vivent en eaux froides et très oxygénées. Très rares et protégés en France, interdits de commercialisation, ils sont peu connus. Mais plus petits, ils sont meilleurs que la truite, avec leur parfum naturel de thym qui a donné leur nom latin "Thymallus thymallus".

 

Après le repas Dmitri nous a invités à nous rendre au Banïa. On a pris une douche, dans la première pièce, puis sommes entrés dans la pièce chaude. Dmitri, avec beaucoup de tact, a fait monter la température, en mettant des petites quantités d’eau sur les gros galets qui recouvrent le foyer. Et puis il a ouvert une petite fenêtre qui donnait sur le dehors, mettant autour de ma tête une serviette pour faire office de joint. C’était agréable de respirer cet air frais tandis que la température montait, montait, autour de mon corps. Puis je sentis le contact de deux fagots de feuilles de bouleau. Dmitri me faisait un massage, tantôt pressant sur ma peau un ou deux fagots, tantôt en frappant mon dos ou mes jambes. Ce devait être une épreuve pour lui, ce massage, car, dans le banïa, on devait frôler les cent degrés. Et puis, à la fin de cet agréable massage, il nous invita à sortir pour aller dans ce qu’il a appelé son « bain japonais ». C’était une cuve en zinc de forme hexagonale. Un banc en suivait les bords, et, grâce à un feu installé sous la cuve, qui, de fait, était suspendue au dessus, tenue par quatre chaine, on avait fait monter la température de l’eau jusqu’à environ 35 degrés. Respirer l’air frais du dehors, qui devait déjà avoir chuté au-dessous de zéro, chargé de vapeur, tandis que votre corps baîgne dans un grand bain à température du corps, a été le dernier délice de cette magnifique journée…  

 

 

 


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Samedi 13 octobre, Sintelek

 

Quand nous nous sommes réveillés au matin, nous étions fatigués. En effet, ces petits chalets en forme de tente, c’est peut-être bien pour l’été, mais ici, en cette saison, il commence à faire assez froid… On a appris plus tard qu’il avait gelé à moins dix. Et j’avais eu l’imprudence d’arrêter le petit chauffage d’appoint, croyant que le chauffage principal, un bain d’huile électrique, suffirait. Si on rajoute à ce froid relatif, un ronflement gargantuesque d’un de nous trois, amplifié par les très bonnes qualités acoustiques du bois, on pourra imaginer le folklore d’une nuit de grincements de dents !

 

De plus, le froid, la nuit, vous donne envie d’uriner. Alors sortir pour aller pisser par moins dix dans une baraque en bois avec, au sol, un trou, c’est vraiment très spartiate ! Le matin, on était donc content d’aller chez Dmitri au chaud manger un somptueux petit déjeuner avec, évidemment, une foule de produits naturels de montagne, cuisinés maison ! C’est d’ailleurs ici que je fis connaissance avec le « Miel Poutine » comme ils l’appellent. Le miel Poutine est élevé à la frontière kazakhe, dans une zone de montagnes à l’accès difficile. Poutine se fait livrer ce miel qu’on va chercher pour lui en hélicoptère. Mais il y a, dans le coin, des connaisseurs de la montagne qui l’élèvent eux-aussi dans des endroits dont ils gardent le secret. Ce miel est tout simplement incomparable. Un délice total.

 

Je remarquai que l’eau dans la petite rivière décorative avait gelé pendant la nuit… L’herbe gelée craquait sous les semelles. J’ai pris cette photo depuis la cuisine, où l’on voit l’herbe couverte de givre… Ce sera le premier gel que je verrai de mon séjour.

 

Nous sommes repartis rapidement. Il semble qu’un autre froid se soit installé, celui-là entre Valery et Dmitri, notre hôte. Une discussion a dû tourner mal avant notre réveil, Fiodor et moi. Valery dit simplement que la nuit dans cet endroit était trop chère, surtout pour les conditions. Je pense qu’il n’avait pas digéré sa mauvaise nuit, mais peut-être aussi que les tarifs étaient excessifs ?

 

J’ai ressenti, en allant d’une endroit à l’autre, que tout le monde, en Russie, se demande un peu comment indexer ses tarifs… Un grand flou plâne. Je remarquerai, plus tard, de grandes aberrations dans le coût des hôtels…

 

Partis de chez Dmitri et Ala, notre premier objectif a été de nous rendre à la Police. En effet, la zone où nous allions poursuivre se trouve proche de la frontière du Kazakhstan. C’est donc une zone qui nécessite d’avoir des autorisations spéciales. Il faut véritablement se méfier en Russie de ces zones frontalières. Y aller sans autorisation pourrait vite tourner au cauchemar. D’où l’importance de demander conseil à des agences de voyage russes. En l’occurrence, l’agence du Chasseur s’était occupé de me pourvoir de cette autorisation. Mais ensuite il fallait l’enregistrer dans un bureau de police local. J’ai voulu faire une photo dans l’office, mais le policier m’a vu venir avec mon appareil sur les genoux et m’a dit que les photos étaient interdites…. Je me souviens d’une anti chambre sombre, avec une ampoule au plafond, et des murs verts bouteille et bordeaux… Derrière le policier, le portrait de Poutine, et, autour du bâtiment un mur recouvert de barbelés. Un poste de police typique donc, qui aurait pu inspirer Hergé dans un épisode de Tintin…

 

Après mon enregistrement à la police, l’enregistrement de Valery et Fiodor à l’administration. Là, pas de policier mais deux femmes très amusées qu’un Français entre dans leur bureau. Ambiance beaucoup plus détendue donc. Elles ont même fini par me demander un autographe…

 

Un repas dans un restaurant, au courant coupé, a suivi. Du coup on ne pouvait pas boire de thé, de café, ni aller aux toilettes. On m’expliqua qu’avant l’hiver il y avait toujours un ou deux jours de coupure afin que des techniciens fassent quelques réparations. Il est vrai que, par ces climats (entre – 40 et – 50° au milieu de l’hiver), une panne de courant pourrait être désastreuse…

 

Après le repas, une centaine de mètres et nous nous sommes arrêtés devant une école de Musique. Dans toute ville, fût-elle petite, se trouve une école de musique et une école d’art. C’est un des merveilleux restes de la période soviétique. Cette école de musique accueille un groupe de musique cosaque qui a pour nom « Loubo ».

 

Un homme au visage sympathique et aux yeux rieurs m’a accueilli. Nicolai Karpov, directeur de l’ensemble cosaque. Il a commencé à m’expliquer l’histoire des Cosaques à Tcharichskoïe.

 

 

La ville de Tcharichskoïe a été fondée en 1765 dans une zone qui était contrôlée par les Djungari. On y fit venir des Cosaques de Don, de Terikh, Koubagne, et de l’Oural. Chacun avait sa culture, ses traditions. De ce mélange s’est constitué une culture spécifique de ce lieu.

 

Comme ces Cosaques étaient à la solde de l’Empereur, la Révolution inspira dans leurs rangs des avis partagés. Mais en tout cas on leur retira leur permission de soldats mercenaires, et le statut de Cosaque disparut. Ils n’avaient plus le droit de porter leur uniforme. C’est seulement pendant la deuxième guerre mondiale que le pouvoir central accepta qu’ils reprennent du galon. Beaucoup d’entre eux devinrent des héros de guerre, vivants ou morts.

A la Perestroïka, sous Gorbatchov, beaucoup de groupes cosaques se sont formés. Le Président a même distribué des permissions pour monter une armée cosaque. Mais sans qu’une compensation financière soit attribuée. Ainsi les Cosaques financent seuls leur formation militaire.

 

En 1992 l’ensemble « Loubo » a été créé dans cette école, bien que cette école soit une école d’état. Quelques professeurs et des bénévoles forment les enfants aux techniques de ce folklore, qu’ils intégreront ensuite dans l’ensemble « Loubo ». Dans quelques minutes je vais me rendre compte du résultat de cette formation…

 

 

Nous sommes sortis du bureau de Nicolaï pour aller dans une grande salle où m’attendaient des adolescents en tenue traditionnelle ainsi que quelques adultes. Ils étaient dix-huit au total, dont 7 hommes/garçons et 12 filles/femmes. Nicolaï est à l’accordéon, et parfois on entend de petites percussions. Souvent le principe est une sorte de questions réponses : une voix seule commence et toutes les voix semblent leur donner réponse. Et ce chœur a une telle puissance que j’en avais des frissons. Ce sera le plus puissant ensemble de voix folkloriques que j’entendrai pendant ce séjour. L’habitude de travailler ensemble donne aux voix une parfaite cohérence, et les quatre voix du chœur de gauche étaient d’une clarté, d’un timbre sublimes. J’en suis ressorti enthousiaste et bouleversé ! A la fin, tous les chanteurs ont voulu être photographiés avec moi, par groupe de deux ou quatre. Comme à chaque fois, je me suis demandé si ce n’était pas le monde à l’envers !!

 

 

 

     

                                                                                                                                             Les nombreux prix de l'ensemble "Loubo"

 

  

 

J'ai gardé quelques unes de ces chansons plusieurs jours en tête ! Et elles m’ont accompagné lors de l’ascension qui allait suivre. Nous reprenions la piste et nous enfoncions vers d’autres confins, ne croisant que deux ou trois camions au cours de la cinquantaine de kilomètres qui nous séparaient du village de Pokrovka.

 

 

Il semblait qu’on se rapprochait de ces cimes du Haut-Altaï car nous avons vu peu à peu surgir dans le fond du paysage des cimes blanches de neige..

 

 

 

  A l'entrée d'un village, juste avant un pont, nous avons aperçu un groupe de gens qui festoyaient autour d'un barbecue. J'ai proposé à Valery de nous arrêter, si l'on pouvait faire un peu de causette avec ces gens. Nous avons été immédiatement accueillis. Et nous voilà avec du pain et de l'excellente viande de porc grillée dans les mains ! Seulement, nous sommes en Russie, impossible (sauf pour le chauffeur, la tolérance zéro n'épargne personne) d'éviter les toasts et les verres de vodka culs secs qui vont avec ! Nous avons passé une petite heure avec ces gens si chaleureux qui étaient en train d'inaugurer un nouveau magasin. Une partie du village était donc là.

 

 

  Nous étions arrivés, en fait, à Pokrovka. Il faisait nuit cependant lorsque nous nous sommes présentés devant le centre de Sergueï et Larissa. Ils nous attendaient sur la petite route, à l'entrée de leur propriété "Mais comment ils ont su qu'on arrivait ?" ai-je demandé. "Ils nous ont vu arriver dans le bas du village" m'a répondu Valery. Larissa était tellement nerveuse de nous accueillir le mieux possible qu'elle en a oublié de nous saluer. J'ai beaucoup aimé ce jeune couple. Il est évident que ce projet a été pour eux un défi. Sergueï est natif du village. Il a connu Larissa alors qu'ils faisaient tous les deux leurs études à Novossibirsk. Je ne pense pas qu'ils fassent partie de la caste des privilégiés. Ils ont construit leur projet pierre après pierre. Chaque année, avec le bénéfice de l'année passée, ils continuent de faire progresser leur affaire. Ils travaillent avec passion, mais il y a chez eux une vraie humanité. Et nous avons eu l'impression d'avoir passé deux jours chez des amis lorsque nous sommes partis et que Larissa était peinée de notre départ !

 

  

 

 

    

  

 

Pour l'instant nous nous sommes installés dans un petit chalet de deux étages, surchauffé d'ailleurs quand nous sommes arrivés. Nous avons fait connaissance avec un groupe de touristes russes qui passaient quelques vacances dans un autre chalet, toujours dans le centre de nos jeunes propriétaires. Il y avait cinq chalets au total. Et puis, après avoir passé quelques heures avec les uns et les autres, nous sommes allés au Banïa bien chaud. En revenant à notre chalet, la nuit qui commençait à geler était un véritable bienfait pour nos corps surchauffés. J'ai retiré mes chaussons de laine et marché sur l'herbe gelée. C'était si bon !

 

 


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Dimanche 14 octobre, Sintelek

 

Par la fenêtre, au réveil, on voyait le village, la montagne, le soleil, et le givre sur toute la végétation… 

 

 

Larissa nous avait amenés le petit déjeuner, il y avait les blinis, des sucrés, des salés, du Kacha (bouillie de céréales), du miel Poutine, et des gâteaux fabriqués par un pâtissier du village. Puis viendra une question délicate : « comment je vais me raser ? ». Il n’y a pas de miroir au banïa, pas dans les toilettes (la petite maison à gauche de l'image), et pas dans la maison. Mince alors ! Comment on fait ? Fiodor a eu l’idée de mettre sa tablette e-phone en position vidéo-conférence devant ma peau enduite de mousse à raser. J’ai ramené préalablement une cuvette avec l’eau chaude du banïa et on a bricolé un rasage, moi tachant de viser les découpes de mes narines, mes pattes et mes oreilles, Fiodor de cadrer mon visage sans trop trembler. Exercice fastidieux ! Larissa nous dira plus tard qu’il y avait un miroir au Banïa mais que quelqu’un l’a emporté…

 

Mais il faut quand même faire justice à Sergueï et Larissa d’un véritable effort d’agencement de leurs chalets. La décoration est de très bon goût et constituée uniquement de matériaux naturels. Le bois, le lin, des tapis de couleur, des nœuds dans des paravents… Très cosy et, exception appréciable : une lampe de chevet sur une table dans la chambre ! La seule peut-être que j’aie vue. Bravo Larissa ! Voici des hôtes qui ont pensé que leurs visiteurs pourraient souhaiter avoir une intimité ! Larissa est restée avec nous pendant notre petit déjeuner. Elle avait une telle envie de partager ces moments avec nous qu’on aurait passé tous les quatre la journée à papoter sans se poser plus de question. Mais on avait un programme, et il était de taille : une journée de randonnée à cheval ! Alors, on n’allait quand même pas rater çà, et Serguei est venu nous le rappeler…

 

             

 

Sergueï est guide de montagne. Il le fait à pieds d’habitude. Mais là il allait le faire à cheval. J’étais très heureux. Cela faisait si longtemps que je n’avais pas monté sur un cheval… Après quinze minutes de voitures nous sommes arrivés près de l’enclos d’une ferme, à l’entrée d’un village. Les chevaux étaient là. Un homme vint discuter avec Sergueï et Valery, et commença à sortir les chevaux qui étaient déjà scellés. Je me suis rapidement retrouvé sur un alezan qui avait du mal de tenir en place pendant que je faisais mes photos. Fallait que je me rappelle comment immobiliser ces animaux quand ils sortent de l’enclos et qu’ils ont hâte de se mettre en route ! Mais quand même… Quel étonnant animal… Vieux frère, combien nous te devons !…

 

 

Tout le monde est en selle, Sergueï ouvre la file indienne. Après un chemin qui longe le village, un torrent brille au soleil qui « mousse » devant nous. Nous le traversons, davantage par plaisir que par nécessité puisque le pont est à côté. Les sabots des chevaux glissent sur les galets, l’eau gicle parfois quand notre monture décide de jouer un peu à se rafraichir les flancs. 

 

 

 

En face on voit deux monts arrondis, et, derrière eux, une cime couverte de neige qui brille au soleil. Le temps est parfait, il fait bon, - qui a dit qu’il faisait froid en Sibérie ?

 

 

Arrivés au bout de la vallée on commence à monter sur un sentier dans la forêt longeant les bouleaux, les pins et les mélèzes dorés. On croisera plusieurs torrents, et chaque fois on se réjouira de ces jeux de lumières, de reflets, et d’ombres.

   

 

    

 

Et puis l’ascension commencera à devenir plus périlleuse. On se penche légèrement en avant pour aider le cheval à garder son centre de gravité. Je découvre d’ailleurs que les chevaux ne sont pas ferrés, ce qui leur évide de glisser sur les rochers. C’est impressionnant ce qu’on peut demander à un cheval… Comme c’est impressionnant qu’ils arrivent à placer leurs grandes jambes entre les roches glissantes et la terre spongieuse sans glisser ni sembler s’inquiéter. Parfois, quand même, on voit leur grande tête se rapprocher du sol pour évaluer la situation, sans pour autant douter s’ils passeront ou pas. Ils avancent… Je m’étonne que, sans voir leurs pattes arrières, ils arrivent à les placer aux bons endroits, ce qui nécessite qu’ils mémorisent le relief et qu’ils intègrent leur pattes arrières dans l’espace de cette mémoire.... Quel talent !

 

 

Sergueï et Valery, qui monte sur un cheval pour la première fois, sont en tête. Nos deux chevaux, Fiodor et moi, trainent la patte. Tant qu’à être derrière, à quoi bon se presser ! Et, à force de donner des jambes pour accélérer le pas, je commence à avoir les mollets en compote… Mince, je ne me souvenais pas que ça faisait mal aux jambes de monter à cheval… Et ces selles à structures en bois ne sont pas très commodes pour des jambes qui n’ont pas enlacé de chevaux depuis… oh… depuis…. Je n’ose pas regarder en arrière, ça me donne le vertige. C’est ainsi lorsque je me retourne vers Fiodor : j’ai l’impression de le regarder depuis le premier ou le deuxième étage et je me demande comment mon cheval arrive à tenir sur ses pattes !

 

Après avoir longé pendant une centaine de mètre un torrent, Sergueï, qui nous a attendus, nous conseille de descendre de cheval, afin de soulager nos montures. Devant nous le sentier grimpe sérieusement, et parfois traverse de grandes pierres plates, inclinées, qui seraient impraticables si nos chevaux étaient ferrés. Mais, pieds nus, ils grimpent sans s’inquiéter, bien contents quand même que ces gêneurs ne soient plus perchés sur leur dos. Nos cuisses partagent d’ailleurs leur opinion : après quelques mètres les jambes arquées comme des cow-boys, nous retrouvons notre démarche normale et nos muscles se détendent…

 

    

 

    

 

L’ascension aura duré environ trois heures… Car nous avons oublié de nous soucier du temps qui passe… Et puis le sentier s’est mis soudain a descendre. Les chevaux jubilent, il a fallu que je freine ma monture dont le trot devenait insupportable pour mes mollets. Au retour je découvrirai qu’une boucle d’un de mes étriers n’avait pas été remontée sous ma selle et que mon mollet s’y était frotté pendant toute la randonnée… Il s’en souviendra quelques jours !…  

 

  

 

Mais nous sommes arrivés dans une petite clairière ! Au centre un rond de pierres contiennent les cendres d’un feu, et, à droite, l’aplat vert, coupé des troncs blancs des bouleaux, du « Lac Mort », « Ozero Miotvoïe »… Oh….. Et mort de quoi ? « On l’appelle le lac mort parce qu’il ne contient aucune vie : ni algues et aucune végétation, ni poissons, ni larves, rien n’y vit… » Etrange… Est-ce à cause de l’eau ? Non, puisque dans le ruisseau où l’eau du lac s’écoule, on verra plein d’ombres, ces poissons dont on parle un peu plus haut. Si l’eau était mauvaise dans le lac, elle le serait aussi dans le ruisseau ! Alors… Mystère….

 

Sergueï nous dit aussi que ce lac s’est formé sur le cratère d’un ancien volcan. Et en effet, je verrai sur les bords, des pierres de lave sombres bien caractéristiques…

 

Serguei s’occupe de nos chevaux, à chacun son arbre, puis il rallume bientôt le feu. Il sort tout un fatras de ses deux sacs, à tel point qu’on se demande s’il n’est pas magicien car ce qu’il exhibera bientôt sera bien plus volumineux que le contenu de ses deux sacs ! Et comme un magicien Sergueï a ses trucs. Il me montrera, à la fin du repas, où il a l’habitude de cacher sa théière ! Il a habilement suspendu sa théière avec une fourche de bois sur le feu, a intégré une vieille boite de conserves remplie d’eau entre deux buches et déjà il ouvre des verrines contenant du caviar d’aubergine, de poisson, il commence à couper un jambonneau, sort des cornichons d’on se sait, une bouteille de Cognac, quatre boites de purée à diluer dans de l’eau chaude, et je ne sais plus encore quel délice, sauf les habituelles tomates, toujours aussi bonnes !

 

 

    

Bref, en à peine vingt minutes son repas sera prêt. Comme notre appétit l’est depuis longtemps, nous n’avons pas tardé de nous mettre à table et de dévorer ce piquenique de maître.

 

 

Après le repas chacun va où bon lui semble. Qui discute au bord du feu, qui va surveiller les ombres dans ruisseau, qui fume un cigare assis sur un tronc incliné et un dernier va marcher le long du lac. Comme nous ne sommes pas tant que ça, je pense que quelqu’un a changé de place quand je lui tournais le dos. Les chevaux se reposent face à l’arbre qui les surveille. Parfois les rayons du soleil se perdent dans leur fourrure et en ressortent un fauve électrique, profond, qui me fait penser à la crinière rousse de Natacha Bondartchouk lorsque la lumière de l’aube s’y engouffre en contre-jour, - la lumière de l’aube sur la planète Solaris. L’animalité de la jeune femme, Khari dans le film, a été exprimée par ce plan serré que cheveux et d’un coin de visage… La voilà elle-même sous mes yeux, sur cette belle robe alezane qui somnole à côté d’un bouleau, face au lac qui brille de son vert profond…

 

 

  

La remontée sera difficile. Les muscles se réchauffent, et on oublie le petit désagrément de nos chairs contrariées. Quant à nos chevaux, ils ont tout de suite compris qu’on prenait la direction de leur lit ! Du coup les trainards de la montée collent au derrière des champions de l’aller et on est obligé cette fois de les retenir. Surtout que maintenant la pente n’est plus dans notre dos mais sous nos yeux. Et on se demande, à plus forte raison, comment ces foutus quadrupèdes arrivent à tenir sur leurs pattes ! On se penche en arrière pour rester dans l’axe du centre de gravité et on maintient la bride au contact de la bouche de l’animal, histoire qu’il garde le pas.

 

Lorsque nous retrouverons l’un des torrents, Sergueï nous fera le traverser, empruntant pour le retour un nouvel itinéraire. Nous suivrons une falaise de pierres découpées, formant quelques frontons de roches au relief affiné par les rayons du soleil.  

 

 

 

 

Enfin nous arriverons dans une zone plane où le chemin s’élargira, couvert d’herbe. Ce sera l’occasion de tester le galop. Hélas, au moins trois paires de jambes n’en pouvaient plus. Chacun notre tour nous marchions devant nos chevaux goguenards ! Dommage, un peu d’entrainement les jours passés et on rentrait au triple galop le cœur gonflé de joie… C’est pas drôle d’être redevenu amateur… J’ai tant galopé jadis… Et maintenant, je marchais… C’est la vie…  

 

 

 

Nous avons rendu nos compagnons à leur propriétaire et repris la route du retour, appréciant le confort des chevaux diesels ! La Ford s’est arrêtée au bord du chemin afin que Sergueï nous montre, au loin devant nous, un ensemble de bubons alignés sur l’herbe rase : un nouveau site de Kourgans Scythes ! Les tumulus étaient nombreux, comme sur le site de Kolivagne, et tapis dans une large vallée. Les scythes, qui étaient un peuple d’esthètes, ont toujours choisi le lieu pour leurs tombes avec beaucoup de goût. Celui-là ne dérogeait pas à la règle…  

 

 

Nous avons dû faire un large détour pour nous rendre sur le site que l’on nomme « Dalina Skifou », contournant les lacets de la rivière Sintelek, qui signifie « la rivière sinueuse ». Sur place nous avons découvert un curieux alignement de stèles en pierres plates d’environ 2 m 50 de haut. Elles menaient toutes au tumulus principal, le plus important en volume. On aurait dit que les autres korgans entouraient le tumulus principal. Et Serguei nous explique que le tumulus central était celui d’un roi, et les autres, de ses principaux généraux.

 

 

  

Puis il nous explique l’usage que feront les hommes de ses mystérieuses stèles : on y pose son dos et, face au soleil, on émet quelques vœux ou prières… Cette tradition a longtemps été conservée par les populations locales. Enfin Sergueï nous fit remarquer qu’à une période de l’année les stèles sont dans l’alignement précis des rayons du coucher du soleil. Leur alignement était donc une sorte de repère saisonnier, un calendrier astronomique…  

 

 

A la base, Larissa nous attendait, et le repas avec elle. Elle est restée avec nous pendant le repas, et bien après, lorsque Sergueï nous a rejoints. On avait cette fois évité que la maison soit surchauffée par l’excellent fourneau, mais dont il valait mieux ne pas surcharger le foyer de bûches. C’était vraiment agréable de discuter ainsi tous les cinq, comme des amis de toujours. J’en ai profité pour leur montrer les photographies du jour. On était comme au cinéma…. Ou comme chez nous… Oui, on est si bien à Sintelek sans télé !

 

Quand la nuit et le gel furent tombés, Larissa et Sergueï sont rentrés dans leur chalet et nous les trois voyageurs on est allé se mettre à poil dans le banïa… Finalement, on finit par s’y habituer à la promiscuité masculine…

 


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Lundi 15 octobre, Barnaoul.

 

 

Nous avons quitté Sergueï et Larissa dimanche matin. Ils sont venus tous les deux déjeuner dans notre chalet. Puis Sergueï est retourné à ses affaires, dehors, tandis que Larissa restait avec nous, triste de notre départ… C’est curieux, j’ai l’impression que nous nous reverrons, que je reviendrai ici. Larissa, Fiodor et moi, nous nous sentons comme des copains de fac, c’est très curieux cette impression… Je croyais avoir tout oublié de cette période… On resterait bien là à discuter de choses et d’autres, de boire thé sur thé, et, éventuellement, d’écouter un peu de musique… Russe de préférence !…. J’ai tant à apprendre de la musique russe ! Mais Valery vient nous sortir de notre amicale léthargie : nous devons partir. Nous sommes attendus quelque part, et lui seul sait où ! On replie nos bagages et partons retrouver la Ford grise couverte de poussière rougeâtre. Une dernière photo de Sergueï et Larissa devant leur « domaine » et nous reprenons la route…

 

A bientôt camarades !

 

Valery fait un crochet dans le village, il rejoint un « grand chasseur » comme il nous le présente, à qui il a acheté du « Miel Poutine ». Il y en a bien cinq kilos… Puis nous remontons la piste qui sillonne vers quelque col. De part et d’autre la piste est bordée d’herbe blanchie par le givre, de l’or des Mélèzes, et d’ombres projetées par le moindre relief, la moindre voussure… Parfois un animal se dresse sur l’herbe rase, et la lumière basse du soleil dessine une ligne blanche sur son échine… Tout cela est tellement beau et paisible, offrant des percées pour un second ou un troisième plan derrière les vallées, entre les monts, où le regard se laisse attirer et s’égare comme s’il se mettait à rêver…

 

 

Nous avons quitté la piste d’où nous sommes venus, obliquant vers l’ouest. Les reliefs peu à peu vont baisser, et Valery de dire plusieurs fois, en Français « Au revoi’ les montagnes, au revoi’ ! » Des fois je me demande s’il ne va pas plus apprendre de mots français que moi de Russe !

 

Dans un village je découvre sur ma droite un drôle de bâtiment qui semble sorti d’une BD de François Schuiten. Il s’agit de greniers à grain qui sont construits sur une base métallique de poutres et de boulons, et surmontés d’un bâtiment de bois brinqueballant, lequel a été rehaussé de mansardes. Cet empilement improbable ne semble pas avoir été créé pour un véritable usage, mais juste pour un caprice de dessinateur ou d’architecte. Pourtant il est certain que sa création ne date pas d’hier et la poussière qui l’entoure atteste qu’usage il y a bien eu et qu’il ne s’agit en rien d’un caprice égaré. De l’autre côté de la route, après un très long entrepôt, un second grenier, semblable au premier, donne à ce paysage millénaire une modernité quelque peu décadente.

 

 

Nous avons retrouvé l’asphalte et une conduite presque confortable. Après quelques kilomètres encore, à l’entrée d’un village, sur la droite, s’étend un cimetière bardé de ses lignes bleu ciel. Je demande à Valery de s’arrêter pour quelques photos. Il a une réaction un peu surprise, ne comprenant pas quel intérêt je peux trouver au dernier logement des humains. Je lui réponds que nos cimetières sont très différents, et je me demande pourquoi ce bleu clair parcourt l’ensemble des cimetières que j’ai vus jusqu’alors, et de loin. L’air n’étant pas très chauds, ils vont m’attendre avec Fiodor pendant que je vais profiter d’un soleil de fin de matinée pour réaliser quelques photos.

 

Après avoir franchi la porte métallique, en tubes de fer peints en bleu clair, je découvre que chaque tombe est entourée d’une barrière métallique peinte dans ce même bleu. C’est ce qui définit un cimetière russe, la présence de ces armatures métalliques, délimitant l’espace collectif du cimetière tout autant que l’espace privé d’une tombe. Et la couleur choisie pour peindre ces tubulures : le bleu ciel. Cela apporte à ces cimetières un air souriant et accueillant. Ce bleu se mélange ensuite aux différentes couleurs des fleurs, des rubans, des couronnes, - et aux ors des plaques commémoratrices. Sous le soleil, ces couleurs semblent exhaler un chant joyeux. Je découvre aussi un détail très intéressant. Devant beaucoup de tombes on trouve, fixés au sol et soudés entre eux, une petite table et deux tabourets, bleus ciel eux-aussi. Une coutume veut qu’à certaines dates sacrées on vienne visiter le défunt avec une bouteille de vodka et quelques verres. On s’assoit donc, on se sert une rasade de vodka et, à pleine voix, on se met à discuter avec le regretté défunt. Contrairement à un avis protestant que j’entendrai plus tard, l’idée de cette pratique m’a séduit. Ca vous gênerait, lorsque vous serez mort, qu’un de vos proches viennent discuter quelque temps avec vous en absorbant quelques verres d’Arbois ? Moi non. Une gorgée délicate ne peut nuire au respect qu’on doit à quelqu’un. A comparer cela avec la solitude de nos tombes catholiques, je pense que ces résidus païens on quelque chose de très humain et séduisant… Après tout, tant que nous nous souvenons de quelqu’un, il est toujours vivant en nous. Alors pourquoi pas une petite conversation autour d’un verre de vodka !

 

Nous avons fini par arriver au village de Novopokrovka. A l’entrée on rencontre Sasha (Alexandr), l’organisateur d’une fête villageoise sur le thème de la culture cosaque. Deux familles organisent cet après-midi de festivités, et elles sont toutes deux les descendantes de cosaques. Accompagnés de Ludmila, la femme de Sasha, nous entrons dans le vaste jardin d’une isba où se déroulera la fête. Tout le monde est très animé, on fait les derniers préparatifs et la majorité a déjà revêtu ses habits traditionnels. Le soleil est là, tapant en oblique à l’arrière de la maison, et les rouges, nombreux dans les tenues tant masculines que féminines, s’enflamment joyeusement au contact de ces rayons qui semblent de la même famille joyeuse que ces cosaques qui tournoient et plaisantent autour de nous !

 

  

   Le père et, ci-dessous, sa fille, la petite Anna.

 

Nous saluons les uns et les autres. Et puis Ludmila nous invite à entrer dans la maison. Il s’agit d’une ancienne maison familiale de presque deux siècles. On y voit, de ci de là, des photographies des aïeuls cosaques en uniforme. Sur l’une on voit deux hommes relativement jeunes, assis de part et d’autre d’une table étroite. Leur grande casquette militaire est inclinée sur le côté, leur donnant un air patibulaire. Ils tiennent tous les deux leur sable de la main gauche, et, de loin, j’avais cru que celui de gauche tenait une bouteille de vodka. Non, c’est le sabre… Désolé… Le mobilier, comme dans toutes les isbas, est relativement simple, mais quelques meubles ont leur charme, comme cette armoire rouge carmin dont les reliefs, poignées, coquilles, tresses décoratives, sont peints en blanc. Partout des tapis, au sol comme au mur, et des napperons, des rideaux brodés et ajourés. Sur les lits des couvre-lits en coton blanc sont ornementés de fleurs aux couleurs vives, brodées par des doigts habiles. La reproduction d'une icône est posée contre un oreiller. 

 

Dans la partie cuisine, une grande table est déployée , autour de laquelle on mettra facilement une trentaine de personnes. Tout près de la table, le « petchki », le poêle dont j’ai plusieurs fois parlé. On voit bien, dans celui-là, le lit pour les enfants protégé par un rideau. Ludmila commence à nous servir une assiette de Bortsch, et nous fait goûter un cidre maison. Elle nous montre aussi, dans le poêle qui est équipé d’un four profond, une sorte de bouillie de céréales qui est en train de finir de cuire…

 

 

 

 

Dehors les préparatifs continuent. On a reçu un ensemble de photographies qu’on s’active d’accrocher contre une palissade. Ce sont les photos de la précédente fête, l'année dernière. Les hommes préparent leurs démonstrations, l’un avec son sabre qu’il manipule comme une majorette sa baguette, l’autre avec un fouet. Dans un champ derrière la maison des cavaliers sont déjà perchés sur leur monture tandis que d’autres fument, assis sur la paille de deux chariots attelés. Les femmes parlent haut et plaisantent, la bonne humeur règne et il ne semble pas qu’une moindre différence existe entre les hommes et les femmes. Pour un peuple issus de la guerre et du mercenariat, cette égalité est très surprenante et bien agréable… Peut-être que cette armée là m’aurait plu ? Allez savoir !

 

 

 

 

Soudain tout s’active. On va charger le coffre d’une Volga blanche, les chariots attelés sortent de l’enclos. Après quelques sacs en plastiques et quelques objets, dont un samovar en platine, le coffre est finalement rempli d’une table basse bien trop grande, interdisant qu’on en ferme la porte. La Volga fait demi-tour, les chevaux se mettent en marche, et nous, dans la voiture de Valery, suivons le mouvement. Nous doublons les deux chariots et nous approchons de la Volga et de son coffre baillant au rythme des bosses et des ornières de la route. On croise un sidecar jaune des années communistes, puis un troupeau d’oies braillardes. 

 

 

 

Après quelques kilomètres, les charrettes commencent à se garer au bord de la route tandis que la Volga manœuvre sur un terreplein herbeux que domine, à une trentaine de mètres, une tour en bois. C’est une tour de garde d’une dizaine de mètres de haut qui avait servi à surveiller les routes alentours. Un cavalier s'est placé de chaque côté de la tour. On a sorti la table du coffre de la Volga qui, blanche sur fond de gazon, en légère contreplongée, impose à toute la scène sa présence magistrale. On installe la table au centre du terre plein, face à la tour. Plusieurs femmes contribuent à l’installation. Leurs robes à volant, leurs grands châles à fleurs aux dominantes roses ou rouges frémissent sous le vent, très excité lui-aussi. Elles se parlent à voix hautes, joyeuses et espiègles devant mon appareil photo. Très vite la table est couverte d’une nappe blanche et d’un châle turquoise dont les volants se gonflent de vent et dont la texture satinée révèle toute ses nuances au soleil ! La scène a une gaieté farouche. Une femme se met à chanter devant la table, heureuse de la voir enfin installée, recouverte d’une brioche bombée et dorée, du samovar, d’une théière et d’un bracelet de berankas. Pendant ce temps, une deuxième femme se met du rouge à lèvres avec une insolence rieuse, comme si elle jetait cette provocation au soleil ou au vent, ou au monde entier qu'elle se sent prète à aguicher comme le regard d’un amoureux. Je suis littéralement ébloui par cette démonstration de joie et d’élégance, et je ne sais pourquoi je me mets à penser : "Ils sont beaux comme des Manouches !"

 

 

 

 

 

Derrière moi les hommes qui ne sont pas à cheval se sont rassis sur la paille de leur charrette et ont rallumé une cigarette. Leur grande toque en peau de chèvre frisée, noire ou blanche, leur donne une autorité en même temps qu’un air chaleureux et rassurant. Leur visage est paisible, comme celui de tous les cosaques, ou descendants, que j’ai rencontrés. Suffirait-il qu’on laisse les militaires vivre libres, avec leurs femmes et enfants, pour qu’ils restent humains ? Ce n’est pas Wilhelm Reich, l’auteur de « Psychanalyse de masse du fascisme », qui aurait dit le contraire…

 

   Les deux dames m'invitent à venir les prendre en photo devant une publicité pour l'acteur Valery S. Zolotoukhine, né à Bistriï Istok en Altaï.  

  "C'est un type bien ce Solotoukhine ! Venez, vous allez nous prendre devant sa photo !" Zolotoukhine allait terminer, le jour même, son  mandat comme

    directeur du théâtre de la Taganka à Moscou, le théâtre le plus avangardiste de Russie.

 

 

A droite de cette grande pelouse aujourd’hui lieu de cérémonie se trouve un monument en marbre gris et noir. On m’explique qu’avant, lorsqu’un cosaque jeune marié partait pour une guerre ou une bataille, il venait avec sa jeune épouse face à cette stèle pour lui faire un adieu solennel… Cette visite devait faire comprendre à l’un comme à l’autre la fragilité de la vie, et je pense qu’ils devaient rapidement aller se jeter sur quelque meule de foin pour en débattre les conclusions philosophiques ! Puis l'homme partait et la femme restait à la ferme, en assumant seule la gestion , vaches, cochons, poulets et oies brailleuses, et élevant les enfants. On doit peut-être à cette relative indépendance la forte présence de ces femmes, leur  sonore bonne humeur, et cette confiance en soi tonique et sympathique. Les hommes n’ont pas l’air de s’en plaindre et ils ont bien raison !

 

Soudain on entend un bruit de moteur au lointain. Deux cavaliers partent au galop vers un grand bus de tourisme qui approche. Quand les chevaux l'ont rejoint, le bus s’arrête. Les cavaliers saluent le chauffeur et puis repartent en sens inverse, ouvrant de leur frêle et gracieuse escorte le passage de l’immense cloporte gris métallisé. 

  

Le cortège s’arrête face à l’entrée de la tour et une cohorte de touristes sort du bus. Il y a parmi eux quelques journalistes qui arborent appareils, pieds vidéo et caméras. Je les observe du haut de la tour tandis qu’un guide leur explique les origines de ce lieu et ses usages militaires et rituels…

 

Quand tout le monde aura posé devant un ou plusieurs appareils photos, sera monté en haut de la tour et redescendu s’offrir au soleil et au vent, on proposera aux visiteurs de s’installer sur la paille des chariots. Galamment les cosaques aident les dames à monter, les portant dans leurs bras au besoin. Avec un total de quatre chariots on aura réussi à charger tous ceux que le car a rejeté. On remet samovars, théière et beranki dans le coffre de la Volga, bloque la table par-dessus, et tout le monde se dirige vers le pré où les chevaux avaient attendu leur venue. Les chariots s’arrêtent, hommes et femmes en descendent et sont pris à partie pour un rituel de bienvenue. Entre temps un homme en uniforme médaillé est entré en scène. Il s’agit du chef de tous les cosaques. Il fait un discours et réponds à quelques mots d’usage hurlés par tous les hommes en uniforme cosaque. On ne sent pas ici le sérieux des cérémonies officielles. Le sourire est toujours présent au creux des lèvres comme si on s’amusait de tout cela avec un grand, mais invisible sérieux ! Et puis, enfin, chacun doit entrer dans la propriété autour de la maison en passant par une porte où un verre de vodka lui est proposé. Dès le verre vidé les cosaques, hommes et femmes, hurlent un "Lubia !" (Amour !)  retentissant et vous passez de l’autre côté de la porte d’entrée.  

Sur l’herbe bien tondue du verger, les femmes reçoivent les visiteurs et les hommes préparent les jeux qui vont suivre. Une sono diffuse des musiques cosaques qui sont peut-être ceux du village, ou d’une communauté frère. Car il y a plusieurs communautés cosaques, liées à leurs villes de provenances. Celle-ci, apparemment, est liée à la ville de Omsk.

 

Alors, une des femmes prend le micro. Ce sera elle qui, pendant l’après-midi, animera la fête. La structure est simple : une alternance de chansons et de jeux. On verra donc s’enchainer des jeux plutôt pour hommes et d’autres plutôt pour femmes. Par exemple, à l’aide d’un long fouet fixé à un manche, il faudra commencer par faire tourner le fouet en l’air puis le faire descendre sur une bouteille, posée sur une bille de bois, qui va être propulsée à quelques mètres si on a visé juste. La grande difficulté sera de faire tourner le fouet sans qu’il s’entoure autour du manche. Un petit coup de main que tous les hommes ne trouveront pas. Pour les femmes il y aura l’épreuve du porter de seaux sur un joug, une barre de bois taillée à la forme du cou et des épaules afin de porter deux seaux à la fois. J’ai pas vu une seule femme renverser une goutte…

 

Evidemment j’ai préféré les chants. J’aime les chants des Cosaques. C’est peut-être à ce plaisir de chanter ensemble qu’on doit aux Cosaques leur côté joyeux et communicatif. Ou alors c’est parce que les Cosaques se sont toujours définis comme des hommes libres ? Depuis toujours ils ont élu leur chef démocratiquement, l’« Otaman », mais aussi, ils ont toujours accueilli qui voulait rejoindre leur communauté, qu’il soit paysan, aventurier, aristocrate désirant recevoir la meilleure formation militaire, Tatar, Kazakh ou rebelle de tout pays. Paraîtrait même qu’il y a eu des Français qui sont venus rejoindre leurs rangs aux XVII et XVIIIème siècle. Magnifique ! S’il avait vécu à peine plus tard, peut-être que notre poète Villon aurait pu venir s’engager par ici, lorsqu’à 32 ans il a été banni de France ? Je le vois bien, Villon, rejoindre les Cosaques, apprendre leurs chansons et se mettre à écrire de nouvelles poésies dans un mélange de slave et de langues Turques, inventant ainsi une nouvelle langue comme il l’a fait en inventant le français moderne…

 

Car, si les Cosaques s’expriment en Russe, leurs influences musicales sont nombreuses et leur folklore est un subtil mélange de mode mineur, mélancolique, et d’énergie rythmique, invitation à la danse et à l’expression de la joie et des élans du corps… Et j’ai aimé entendre les hommes chanter avec les femmes et les enfants, indiquant que pour la fête il n’y a personne d’un côté et d’un autre, mais qu’on exprime sa joie ensemble, tous sexes et générations confondus. Et je ne parle pas de leurs visages, si expressifs. Ils ont tous des gueules. Qu’ils soient beaux ou non, il se dégage de leur visage une singularité remarquable. La première que j’ai remarquée est cette fillette d’une dizaine d’années, Anna, qui m’a dévoré de ses yeux, mélange de curiosité et de surprise, comme si j’étais descendu de la lune. Un « Français » était devant elle et les yeux ouverts comme des billes, un large sourire aux lèvres, arborant ses deux incisives écartées, lui donnant un air si drôle et sympathique, elle exprimait à la fois la stupéfaction et un désir de séduire et d’être remarquée. Un désir d’exister aux yeux de ce fantastique étranger. C’était touchant et drôle, et je l’ai vue toute la journée participer à toutes les activités, chantant à cœur ouvert, avec une générosité sans limite et une joie infinie à participer à l’expression de leur petite communauté. C’était beau comme la vie, comme l’espoir, comme la joie, comme le soleil sur la nature. Et les chants profitaient de tout ce plaisir à être ensemble, à partager ce qu’on est avec les autres, et si une voix perdait quelques instants la scrupuleuse tonalité, ce n’était pas grave, et personne ne s’en inquiétait : on n’était pas là pour faire une performance, mais pour partager ses racines, son être, sa communauté familiale, son sens de l’hospitalité et sa joie d’exister. Et cette joie était communicative. Les touristes de Barnaoul avaient le sourire aux lèvres. Leur joie de vivre était une véritable thérapie pour tout le monde, et on se laissait prendre dans ce tourbillon de vie, dans cette directe communication, sans entraves ni simulacres, dans cette liberté d’être, souveraine…  

 

J’étais aux toilettes, dans la baraque en bois au coin du jardin, visant le trou creusé dans une planche de bois qui recouvrait une fosse indiscrète, lorsque j’entendis crier mon nom. Il semblait que toute l’assemblée me demandait et je me trouvais très embarrassé par mes fonctions naturelles. Heureusement une voix d’enfant, lequel m’avait vu aller en direction des latrines, s’écria en Russe « Il est aux toilettes ! » soulevant un énorme rire de l’assemblée. C’était cocasse et je me dépêchai de terminer mon devoir et de me reculotter. En sortant de la cabane je découvris une cinquantaine de regards qui m’attendaient amusés. Qu’est-ce qu’ils me voulaient ? Fiodor s’avança vers moi pour m’expliquer qu’ils voulaient m’introniser cosaque ! Il fallait donc que j’apprenne en quelques secondes à dire en Russe : « Merci » puis « Mon père », puis « pour ton enseignement » ! Fiodor continua : « Il faut que tu t’étendes sur le banc, ici, le dos en l’air. Le grand chef des Cosaque va te donner un premier coup de fouet et tu diras « Merci ! » puis un deuxième coup de fouet après quoi tu diras « Mon père ! » et un troisième où tu diras « Pour ton enseignement ! » Allez, va-z-y, allonge-toi ! » Grâce à Dieu, le chef des Cosaques avait la main délicate. Tellement que c’en était presque vexant pour un futur cosaque ! Un peu plus de punch aurait témoigné davantage de confiance en ma bravoure ! Bref, Fiodor me souffla les deux dernières répliques et je pus devenir « Tristan Kazak Sibiriak ! » dont n’allait pas cesser de m’affubler Valery au retour !

 

Puis les jeux ont cessé, et le groupe des deux familles ont enchaîné les chansons, ornementant les chansons de danses aux savants jeux de jambes, de performances de sabres. 

 

 

Valery, inquiet de la distance qui nous séparait de Barnaoul, commença à nous signifier qu’il fallait reprendre la route. Il était en outre fatigué pas une mauvaise nuit de courbatures, suite à l’expédition à cheval de la veille. On a donc salué toute cette belle famille, qui nous a embrassé joyeusement tous les trois, les hommes se contentant de nous serrer dans leurs bras. Et puis la Ford s’est éloignée du village… Et je me suis dit que j’avais peut-être vécu aujourd’hui ma plus belle journée de photographe depuis que je suis en Altaï.

 

Nous avons rejoints à Biïsk la M52 alors que le soleil éclairait les nuages au dessus de la Biïa d’un rouge sang…

 

 


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